15/6/1989. Exposés de Colette Hoffsaes (Sociologie) et Didier Vaudène (Informatique)
IUT Paris V et LITP Paris VI

Connaissance et science

Qu'est-ce que la connaissance ?

Larousse :
- activité intellectuelle visant à avoir la compétence de quelque chose ;
- cette compétence elle-même (compétence : aptitude d'une personne à décider, capacité reconnue en telle ou telle matière) ;

Robert :
- idée plus ou moins complète et précise que l'on a de quelque chose ;
- ce que l'on sait pour l'avoir appris ;
- par extension, faculté de connaître ;

Qu'est-ce que la science ?

Larousse :
- ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes ;

Robert :
- vieux : connaissance exacte ou approfondie
- (sens général qui tend à être éliminé par le suivant) : tout corps de connaissances ayant un objet déterminé et reconnu et une méthode propre
- (depuis le 19e siècle) ensemble de connaissances d'études de valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondes sur des relations objectives des sciences.


Commentaire
: la connaissance est à la fois processus intellectuel et résultat de ce processus : cette ambiguïté n'est pas neutre : peut-on parler de connaissance comme de quelque chose d'extérieur au(x) sujet(s) ? Peut-on objectiver la connaissance et comment ?

La connaissance apparaît à la fois comme un éliment fragmentaire de la science et comme moins sérieux, moins reconnu, que la science. Il existe des connaissances non scientifiques, considérées souvent comme sujettes à caution : la science représente dans l'imaginaire moderne la "Vérité reconnue", jouant le rôle de la Révélation ou de la Tradition dans les sociétés traditionnelles.

Nous nous intéresserons au sens de la science admis depuis le 19e siècle, tout en gardant présente à l'esprit l'idée que la science n'est pas le seul mode de connaissance. Le terme "vérifiable" pose le problème de la preuve.

Le problème de la preuve

Est vérifiable ce qui est reproductible, propose Claude Bernard. "Les théories ne sont que des hypothèses vérifiées par une nombre plus ou moins considérable de faits". D'où la procédure scientifique : on pose une hypothèse, on élaborer un protocole pour vérifier cette hypothèse que les résultats confirment ou infirment.

Mais cela pose la question de l'induction. si un événement se reproduit plusieurs fois, nous en induisons qu'il se reproduira toujours ainsi. cf. David Hume :" la simple répétition d'une impression passée, même à l'infini, n'engendrera jamais une nouvelle idée originel, comme celle d'une connexion nécessaire, le nombre d'impressions n'a, dans ce cas, pas plus d'effet que si nous nous en tenions à une seule". La répétition n'est pas une preuve, et en outre, certaines expériences sont impossibles (par exemple en psychologie).

Les travaux d'Einstein montrent que les faits toujours observés peuvent s'avérer faux dans contexte plus global. E. reporte le problème de la preuve dans la cohérence de la théorie et dans le fait que le raisonnement conduit théoriquement se concrétise dans des conséquences prévues.

Gaston Bachelard, "le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire, mis toujours ce qu'on aurait dû penser". Le réel ne donc pas servir de référence, il faut la chercher dans une "construction rationnelle bien explicite". Par ailleurs, Bachelard insiste sur l'élaboration de l'hypothèse, qui n'est pas scientifique, mais produit de l'imagination : la science ne répond qu'aux questions qu'on a pensé à poser.

Karl Popper développe l'idée que toute les lois et théories sont un caractère hypothétique et que la seule attitude scientifique est la critique. Le seul critère de vérité, toujours provisoire, est la non-réfutabilité. La science est donc une "quête inachevée", qui n'a rien d'absolu : une théorie scientifique est celle qui se révèle la plus vraie à un moment donné (la plus efficace, la plus riche et non encore réfutée). La science est donc une construction éminemment sociale : le savoir objectif est fondé sur l'honnêteté des scientifiques.

T.S. Kuhn critique cette vision objectiviste ; il objecte que la science ne progresse pas de manière aussi univoque, mais par une série de révolutions qui établissent l'hégémonie d'un paradigme en éliminant celui qui l'a précédé : "Chaque nouveau schéma conceptuel englobe des phénomènes expliqués par les schémas qui l'ont précédé et en explique de nouveaux (...) Il n'y a que la liste des phénomènes explicables qui augmente ; les explications ne connaissent pas de processus analogue. A mesure que la science progresse, ses concepts sont tout le temps détruits et remplacés.

Bibliographie :
BERNARD Claude : "Introduction à la médecine expérimentale", Editions le Cheval Ailé, 1945.
HUME David : "Traité de la nature humaine", Aubier, Paris 1983
BACHELARD Gaston : "La formation de l'esprit scientifique", Vrin, Paris 1972
POPPER Karl : "La connaissance objective", Editions complexe, Bruxelles 1978
POPPER Karl : "La quête inachevée", Calmann-Lévy, Paris 1981
KUHN Thomas S. : "La structure des révolutions scientifiques", Flammarion, Paris 1970
KUHN Thomas S. : La révolution copernicienne, Fayard, Paris 1973


Divier Vaudène : Les fondements de la science

La majeure partie de notre activité échappe à la science, la question des fondements vient après. Un phénomène n'est pas ce qu'on voit mais ce qui se manifeste. Le problème est de reconstituer quelque chose. Les sciences se fondent à partir du moment où la construction s'appuie sur quelque chose d'inobservable.

Une science fondée exclut ce qu'elle ne peut expliquer ; au lieu d'exclure ce qu'elles ignorent, les sciences les rendent indécelable dans la théorie. On ne peut donc pas interroger les fondements d'une science depuis cette science. Les sciences ont perdu tout contact avec leurs fondements depuis qu'elles ont divorcé d'avec la philosophie.

La preuve que quelque chose est une science, c'est qu'on la réfute, en la dépassant. Le fondement est donc dans l'avenir. Une théorie réfutée n'est pas fausse, mais elle devient régionale, dans des limites qui apparaissent à ce moment là. Les principes de la limitation des sciences sont aux fondements. Le retour aux textes fondateurs d'une science est toujours surprenant : ils semblent extravagants.

La distinction pertinente n'est donc pas entre la science et la non-science, mais entre les discours fondés et non fondés. Les discours fondés excluent ce qu'ils ignorent (comme les constitutions d'ailleurs). L'institutionnalisation de la science appartient à la science.

Les sciences sont des montages grecs (cf. Héraclite), alors que les discours hébraïques ont produit des interprétations. Le discours vrai est hors de portée, on peut tenter un discours objectif.

Compte-rendu rédigé par C. Hoffsaes