Introduction
Bien que le mot représentation joue un rôle important, il est parfois bien difficile d'apprécier la portée, les incidences, et surtout les présupposés implicites de son usage. On peut dégager quelques traits caractéristiques réguliers qui accompagnent l'utilisation du mot représentation, afin d'en tirer quelques conséquences, et surtout quelques questions.
1. Un test simple
Pour mesurer l'enjeu de cette question, il suffit d'examiner quelques textes où figure le mot représentation et de tenter d'éliminer ce mot partout où on ne sait pas le remplacer par une définition claire et convaincante. On observera que beaucoup d'exposés théoriques, surtout ceux de nature fondamentale, se bloquent ou deviennent contradictoires.
2. La question du représenté
Une représentation souligne, notifie ou spécifie un écart entre un représenté supposé et une représentation de ce représenté. Cet écart est le lien de représentation. Autant la représentation peut être saisie comme quelque chose de concret (écriture, discours, schéma, dessin, etc.), autant le représenté est problématique. On peut même se demander si, dans nombre de cas, l'affirmation que quelque chose X représente quelque chose Y n'est pas une sorte de mise en scène pour parler du fait que le "quelque chose Y" n'est pas quelque chose, quoiqu'il faille cependant "en" parler. ainsi, par exemple, les connaissances, les informations...
3. Le lien de représentation
Si le représenté n'est pas concret, le lien de représentation s'avère particulièrement problématique. Si, de plus, il est reconnu qu'il n'y a pas accès au représenté (supposé) en tant que tel, comment pourrions-nous concevoir l'établissement d'une adéquation de la représentation à son représenté supposé ? Quelle preuve rapporter d'une telle relation ? On peut même remarquer que l'affirmation qu'il y a représentation est d'autant plus cruciale que le lien de représentation est lui-même inconcevable. Un tel lien de représentation n'est donc pas, lui-même, représentable. De manière générale, même à supposer que le représenté "existe vraiment", il serait inutile d'invoquer un lien de représentation si quelque chose ne demeurait irreprésentable.
4. Une perspective d'étude
Cependant, l'intervention du mot représentation n'est pas dénuée de sens, et les personnes qui s'en servent le font intervenir pour produire un effet de sens qui n'est pas nécessairement celui qu'on imagine habituellement, à savoir un certain rapport (donc un certain écart) entre un représenté supposé et un "représentant". Peut-être un des cas les plus nets est fourni par les mathématiques, par l'étude de l'opposition entre dénotation et représentation.
Dire que X représente Y (schéma 1) suppose déjà
qu'on puisse dénoter le représenté supposé Y. Or
dire que X représente Y ne signifie pas que la lettre X représenterait
la lettre Y; c'est dire que X représente "la même chose"
que ce que Y dénote. Si Y, en tant que dénotant, et une lettre,
le dénoté de Y, lui, n'et certainement pas une lettre. Le schéma
1 ne convient donc pas.
Ce qui est visé par la dénotation Y et la représentation X est un tiers terme, mettons U' (schéma 2). la tentative de franchir la barre déclenche une régression sans fin. Par ailleurs, ce tiers terme n'est certainement pas une écriture. Dès que je tente d'expliciter par écrit ou par discours comment je peux concevoir qu'une écriture soit référée à autre chose qu'une écriture, je produis peut-être un discours compréhensible (et même évident pour beaucoup) mais je ne peux éviter de recourir à une contradiction. L'intervention du mot représentation, au moins dans certaines circonstances, notifierait alors une sorte d'écart dans l'écriture, quoiqu'on ne sache peut-être mettre en scène et saisir cet écart que par le truchement d'un tiers, exclu de l'écriture (schéma 3). Comment, par exemple, démêler les différences indécelables entre les différents 10 dans une phrase aussi élémentaire que "10 est la représentation en base 10 du nombre 10" ?
Conclusion
Toute intervention d'une représentation est problématique, pour peu qu'on regarde de près ce quelle cache. Ce mot présenterait donc une double vertu : par son accoutumance, il endormirait les soupçons et permettrait ainsi de faire passer pour évident ce qui ne l'est à aucun degré, tout en permettant, sous couvert d'une telle évidence, de garder trace d'une question encore inaperçue. La question de la représentation n'est-elle donc pas particulièrement fondamentale ?
Compte-rendu rédigé part D. Vaudène et C. Hoffsaes