LATTS, Ecole nationale des Ponts et Chaussées (Université Paris XII)
A.Picon, historien, s'intéresse à l'histoire des ingénieurs et de l'architecture aux 17 et 18emes siècles : il collabore au Certes/LATTS et enseigne l'histoire des sciences et techniques à l'Ecole nationale des Ponts et chausses.
AP s'est intéressé à l'informatique à propos de l'informatisation du bâtiment. Au point de départ de la problématique, un constat : la remontée des logiques évènementielles, aussi bien dans les sciences de la nature que dans les sciences sociales. La physique a longtemps vécu sur une vision pauvre de l'évènement, l'important étant l'analyse (cf. Cournot : la continuité est la règle, la discontinuité l'exception). Au 20eme siècle, retour des évènements avec le développement de l'idée qu'il faut identifier des seuils, des ruptures... En histoire, après avoir privilégié les structures (Braudel), on voit apparaître le thème de la bifurcation : les structures très complexes ne peuvent s'expliquer qu'à travers les bifurcations.
Cet esprit du temps entretient quelques liens avec l'évolution technologique, dont l'apparition de l'informatique : il y a toujours imprégnation réciproque entre les technologies et les images d'une époque. Qu'apporte donc de spécifique l'informatique ?
AP développe deux thèmes :
- La nouveauté n'est pas tellement l'idée de mécaniser le calcul : avant le 19eme siècle déjà existait l'idée que l'analyse mathématique sert à "mouliner" automatiquement. La rupture s'établit à la jonction du calcul avec la logique. Cf.P. Lévy : l'informatique manipule les occurrences : la machine de Turing régule les événements.
- L'informatique hiérarchise les représentations. Ce n'est pas la représentation qui est le phénomène nouveau, mais le fait que l'informatique serait quelque chose qui hiérarchise des niveaux de langage, assurant l'interface entre différents types d'acteurs, l'évènement serait de l'ordre de l'interface.
Que fait l'informatique, concrètement ?
- de la gestion de fichiers : elle gère des situations, en normalisant
les types de situations possibles,
- du contrôle de production, en identifiant et gérant des séquences,
mais elle peut aussi exhiber de l'imprévu (la panne),
- de la conception ; se reconstituent une série d'étapes qui structurent
le processus ; on observe que l'informatique permet le dialogue entre différentes
équipes, ce qui implique qu'à certains moments il faut poser des
choses. Pour explorer de multiples scénarios, encore faut-il les poser.
Se reconstituent ainsi des rigidités.
L'idée est donc que l'informatique se développe parce que l'univers technologique actuel est un univers complexe dans lequel se pose le problème de la hiérarchisation des évènements. Nous avons des problèmes de représentation des systèmes complexes. Nous sommes confrontés à des niveaux de choix, à des structures de bifurcation, nous sommes contraints à une logique de structuration, obligés de nous mettre d'accord sur les lieux où on va communiquer, sur le scénarios possibles... Il faut réinstaurer le social dans les processus technologiques
AP a retrouvé cette évolution dans les mentalités des
ingénieurs :
- dans une première époque, les ingénieurs donnaient un
ordre au monde, car l'efficacité naît de l'équilibre harmonieux
;
- plus tard, dès le 18eme siècle, ils pensent les passages et
les flux : l'efficacité devient une harmonie dynamique, liée à
la régulation des flux (intégration entre le tout et les parties,
rationalité analytique):
- actuellement se posent des problèmes fondamentaux : il s'agit d'identifier
les systèmes, d'y mettre de l'ordre, d'articuler les niveaux de définition
et de décision, de repérer les bifurcations entre les scénarios
possibles ; le problème est d'articuler des logiques hétérogènes.
C'est là qu'intervient l'informatique qui développe, comme l'a
remarqué AP, un sens aigu du diagnostic.
L'informatique permet d'articuler des logiques hybrides.
Compte-rendu rédigé par C. Hoffsaes