13/05/1993 Exposé de Pierre Mounier-Kuhn (Histoire)

Centre Histoire de l'Europe moderne (Université Paris VI Sorbonne)

Les relations recherche-industrie en informatique en France, avant 1960

Dans tous les pays avancés, on observer un même modèle de développement des ordinateurs : un laboratoire universitaire innove en construisant une machine ; puis les chercheurs transfèrent leur compétence à une firme industrielle qu'ils fondent ou par laquelle ils se font recruter. Partout une collaboration assez étroite s'établit entre le laboratoire et l'industrie. Seules exceptions notoires : Elliot en Angleterre qui construit des calculateurs analogiques, puis des ordinateurs, indépendamment des universitaires, ainsi que ERA aux USA.

Ce modèle n'est pas viable en France. Pourquoi ?

Il y eut d'abord Louis Couffignal, directeur de l'Institut Blaise Pascal (CNRS), il bloqua d'autres projets jusqu'à ce que Logabax, qui devait réaliser sa machine non viable, déposât son bilan en 1952.

A l'Institut d'optique, André Maréchal avait construit, pour sa thèse, un analyseur différentiel (analogique et mécanique). A la fin des années 40, le CNRS lui refusa les moyens de construire un calculateur électronique. Il achètera plus tard un IBM 604.

Le cristallographe Jean Rose construisit un calculateur mécanique pour calculer les séries de Fourier, qui fonctionna au Cnet, mais qui ne donna lieu à aucune industrialisation.

En conséquence, l'industrie française des ordinateurs ne peut compter que sur elle-même :
- la SEA faisait elle-même ses recherches ;
- Bull faisait peu de recherche, fabriquait des machines fiables mais peu évoluées; son "Gamma 60" en 1960, chef d'oeuvre
électronique, manquait de programmation ; les contacts avec les laboratoires eurent lieu trop tard ;
- à partir de 1960, CSF, CGE, Thomson etc. fabriquèrent des ordinateurs sous licences américaines.

Autre conséquence : ne disposant pas de machines avant la fin des années 50, les universitaires ont pris du retard dans la formation des programmeurs scientifiques. En outre, l'image d'échec liée à l'informatique dans la recherche publique aggrave le mépris pour le machines, la méfiance à l'égard des sciences de l'ingénieur et creuse encore le fossé entre la recherche et
l'industrie.

Pourquoi ? La France avait des électroniciens, des mathématiciens ... PMK propose deux explications :

- Il existait une grande distance entre la recherche et l'industrie. Les grandes écoles d'ingénieurs n'avaient pas de laboratoires de recherche. Il existait une tradition artisanale dans les laboratoires français, avec une déficience à gérer des grands projets. Ce n'est qu'après 1960 qu'on a pu développer des projets en collaboration à long terme, grâce à la création de la DGRST et de la DRME.

- Le marché du calcul était faible en France, dans le milieu scientifique comme dans celui de la gestion, sous-équipé. D'ailleurs, il n'y a pas de grands noms français dans la recherche en calcul numérique au milieu du siècle. Cette méfiance à l'égard du calcul est peut-être liée à une certaine idée de la science désintéressée, noble, qui se refus à descendre du monde des idées.

La déficience de la recherche académique durant cette période a induit le retard français de 5 a 10 ans, qui a perduré.

Ce n'est que vers la fin des années 50 qu'on put observer en France le schéma exposé ci-dessus :
- le Cnet construisit Ramsès pour le contrôle des lignes téléphoniques, qui servira à Alcatel pour donner à la France une position de pointe dans les télécommunications ;
- au laboratoire d'automatique de Grenoble, René Perret conçut un calculateur, industrialisé par Télémécanique.

Compte-rendu rédigé par C. Hoffsaes et Pierre Mounier-Kuhn