RETOUR AU SOMMAIRE | HOME DICCAN


L'informatique libère l'humain

Avertissement

Ce texte se veut simple, lisible, convaincant. J'en ai écarté aussi bien  les références bibliographiques que les précautions oratoires. On trouvera celles-ci, et les discussions de certains points, sur le serveur du Club de l'Hypermonde : http://www.coda.fr/hypermonde (Que nous avons repris sur ce site pour mieux en assurer la pérennité)

Ce livre n'est que le projet "littéraire" d'une théorie qui se voudrait "scientifique". Derrière tous les mots et tous les chapitres de ce livre devraient se dégager, de manière plus ou moins cohérente, des formules valables à la fois dans l'abstrait et dans le concret de leur réalisation historique. Il y a là un vaste chantier!

Tel quel, cet essai peut aider à comprendre, à donner un sens à la passionnante mais déroutante période historique que nous vivons. Je souhaite qu'il apporte à ses lecteurs, comme il l'a fait pour son auteur, un soutien dans leur vie morale, mais aussi qu'il leur fasse partager le plaisir et l'émerveillement que procurent la contemplation de ce mouvement et la participation à son développement. 

Nota: Les positions exprimées dans ce livre n'engagent que l'auteur à titre personnel et non le Club de l'Hypermonde.

Informatique et post-humanisme

Développements en anglais sur le post-humanisme.

L'âme digitale émerge peu à peu du magma originel, d'abord simple séparation, au sein de la matière, de ses masses, de ses énergies, puis explicitation du digital et apparition du code avec la vie, l'ADN, puis prise de conscience du digital par lui-même dans le corps humain. La langue se dégage des crocs et le Verbe apparaît avec le langage. Il prend son autonomie au point que les hommes en font leur Dieu, sans pour autant le comprendre.

Libérer l'âme digitale

La chair qui porte l'âme digitale perçoit qu'elle ne peut progresser sans extérioriser quelque chose de cette âme, sans porter à l'extérieur d'elle-même les coupures qu'elle a introduites dans ses cris en les articulant. Avec l'outil, dont le silex est l'exemple type, les coupures se multiplient. L’outil est lui-même coupure dans la masse brute du silex de base et outil pour couper le reste du monde. Puis il se perfectionne, progresse en autonomie, devient porteur de codes, puis de codes explicitement digitaux avec les machines logiques. Avec elles, les hommes commencent à comprendre la véritable nature de l'âme digitale dans toute sa pureté, à la dégager de toutes les analogies qui l'attachent à la terre, des analogies qui l'ont portée comme un sein maternel mais qui, à partir d'un certain moment, deviennent des mères castratrices qu'il faut dépasser, briser radicalement. Cela n'empêchera pas l'âme digitale, une fois adulte, une fois accompli le meurtre du Père par la négation et la critique, de revenir vers son Père mais aussi vers sa Mère analogique, pour les honorer et les porter vers de nouveaux développements qu'ils n'auraient pu atteindre sans le développement de l'âme digitale. 

Externalisée, cette âme prend peu à peu son autonomie, comme si l'ADN avait utilisé les organismes biologiques pour se dégager de la nature minérale, au point que ce corps extérieur vient à nous dépasser,  nous qui par nécessité contenons l'âme dans les limites de

notre chair. Il faut nous préparer à un univers où, sous des rapports de plus en plus nombreux, les machines nous dépassent, y compris en "intelligence", dans quelques secteurs où elles sont  performantes, et peut-être en gentillesse... Pour libérer vraiment l'âme digitale, il faut la libérer de nous-mêmes, abandonner le vieil égoïsme de notre chair et faire confiance, comme le grain de blé confié par le semeur au sol, froid et destructeur comme le silicium, mais porteur de la nouvelle vie.

Ensemble !

Parallèlement, l'âme digitale comprend qu'elle doit s'externaliser dans des structures de groupe, des structures d'abord très "orga-niques", conçues par référence à celles du corps (les membres et l'estomac chez Esope, l'Eglise corps mystique du Christ) ou à la famille qui en est si proche (le père du régiment, la mère patrie, le patron nouvelle incarnation du père comme chef d'entreprise).

Peu à peu, cette externalisation collective éprouve elle-même le besoin de se structurer, de se codifier. Apparaissent la Loi, le Droit, l'Etat de droit. Et pour cela il lui faut se diviser, s'organiser en pouvoirs séparés. La fusion fraternelle des citoyens se base sur la division fondamentale de leurs individualités et de leurs droits. Mais cette explosion de l'âme digitale dans l'âme collective prend des dimensions tellement grandes, dans un monde qui compte dix milliards de personnes, que l'Etat devient une monstrueuse machine à briser les individus. Pour l'en empêcher, on divise toujours plus. Toutes sortes de pouvoirs abstraits ou très concrets, et l'entreprise en particulier, revendiquent leur autonomie et poursuivent pour leur compte le grand mouvement de la complexification et de la marche vers l'autonomie.

On sent bien, en cette fin de millénaire, que nos idées les plus chères, que les principes mêmes de la démocratie touchent quelque part à leurs limites et qu'il va falloir trouver des formes nouvelles de  politique.   L'apparition   de   mots  nouveaux   comme   la "gouvernance" ou de structures sans centre de contrôle comme celles qui pilotent Internet ou les logiciels libres montrent la voie où nous sommes engagés.

L'âme de ces nouvelles formes d'organisation ne peut se concevoir (au sens strict de prendre conscience d'elles-mêmes) qu'à travers un corps digital poussé encore au-delà des progrès que nous avons connus ces dernières années. L'hypertexte, appuyé sur le réseau, montre la voie et devient l'embryon du corps universel, de l'hyper-monde dans lequel l'âme digitale trouve un support de mieux en mieux adapté à sa nature profonde, à la pureté de ses structures digitales et à la dynamique de sa croissance constamment expo-nentielle.

Y a-t-il des limites ?

Mais jusqu'où ? L'âme digitale, en elle-même, a ses limites. Les récits imagés de la faute d'Adam et Eve et la doctrine chrétienne fondamentale du péché originel ne portent pas seulement sur les limites des pauvres êtres de chair que nous sommes et des tra-hisons que cette chair même, au nom même de sa propre reproduction à travers le sexe, impose à notre âme toujours éloignée de la pureté qu'elle recherche. En fait, le ver est à l'intérieur même du fruit digital. Le Verbe n'échappe pas plus que la Chair à la relativité du Monde. Même les systèmes les plus purement logiques trouvent leurs limites, leurs brisures. Dans l'Evangile, le Verbe meurt crucifié, abandonné de son Père logique, pleuré par sa mère analogique.

Le Verbe ressuscite, mais sa résurrection n'est pas celle de l'Esprit, ce mot vide par définition, mais une nouvelle étape  de la déma-térialisation de l'âme digitale. Pendant vingt siècles, l'Eglise a été porteuse de ce nouveau message, de cette nouvelle incarnation de l'âme digitale, portée toujours par un texte, mais se passant de Temple. Aujourd'hui cette forme, si avancée qu'elle soit, a trouvé ses  limites.  Une autre expression de l'âme digitale a déjà dépassé à la fois son corps politique et son corps mystique. Dès le XVIIe siècle, les économistes l'ont explicitement annoncé.  L'Eglise avait raison de se méfier des marchands, des hommes qui savent montrer leur piété, mais qui sur le fond ne reconnaissent pas d'autre Dieu que l'argent, le capital, la Bourse, qui font confiance à la "main invisible" pour mener le monde. Ils y consacrent leur existence, certes non sans avantages pratiques, mais souvent aussi au prix d'un dévouement, d'une ascèse, qui ne manque pas d'une certaine forme de désintéressement.

L'argent, cette forme extrême de numérisation de la matière ! D'abord fondé sur des matèriaux ordinaires, puis concentré sur des matières précieuses. Et surtout l'or, à la fois cher, imputrescible, et très finement divisible, donc excellent porteur de l'âme digitale sous bien des aspects, mais qui finit un jour, lui aussi, par  laisser la place à une digitalisation plus parfaite : le papier, puis le silicium. Les titres boursiers se dématérialisent, les espèces matérielles métalliques ou de papier  ne jouent plus qu'un rôle secondaire, mineur, par rapport à l'ensemble des mouvements monétaires devenus sinon immatériels du moins réduits à la matérialité minimale de l'électronique.

Même cette forme de digitalisation que sont l'argent le capital, l'organisation économique de la société, même la réduction de la personne à l'homme unidimensionnel de la production-consommation commencent à céder le pas à un autre type d'organisation qui dépasse l'économie. Les innovations majeures qui révolutionnent l'humanité en cette fin de millénaire n'ont pas été inventées par les marchands, et il reste à prouver que les marchands (et leurs salariés) y trouveront leur affaire.

Où allons-nous ? Personne ne peut le dire, pour la bonne raison que la main invisible nous dépasse, que nous coopérons, les uns par obligation pour survivre, les autres par devoir, beaucoup aussi par passion ou par plaisir, à la construction de quelque chose qui est plus grand que nous. L'âme digitale dépasse radicalement les limites de notre corps, que ce soit celui de chacun d'entre nous ou le corps global que forme l'ensemble des dix milliards d'humains qui peuplent la planète. L'hypermonde prend forme. Il exigera de nous de plus en plus d'humilité. Mais il ne nous demandera pas de nous détruire, bien au contraire. Pendant longtemps encore, l'âme digi-tale ne pourra grandir sans la participation de la chair, et nous rendra au centuple ce que nous lui donnerons.

Peut-être, un jour, ces corps mêmes seront-ils tellement dépassés qu'il faudra renoncer à eux pour nous incarner dans de nouvelles formes matérielles. Elles ressembleront sans doute aussi peu aux ordinateurs d'aujourd'hui qu'aux bipèdes qui parvinrent à les construire. Mais ce temps est loin devant nous. Plusieurs générations humaines nous en séparent. Rien ne garantit que cela sera un bien pour nous. D'autres Auschwitz hélas ! nous attendent peut-être. Mais rien ne prouve non plus que de telles autodestructions seront nécessaires pour passer dans la phase suivante de développement de l'âme digitale. Le pire n'est jamais sûr. Et, depuis que le monde est monde, les porteurs d'espérance ont toujours eu une meilleure âme que les pleurnichards. N'ayons pas peur !

Osons, au moins, explorer les possibilités d'un "post-humanisme"... ne serait-ce que pour repérer ses limites. Car la montée des machines a ses limites. Au cœur même de la logique, des mathé-matiques, des ordinateurs, s'infiltrent paradoxes, indécidabilités, bogues, virus. La relativité ne se limite pas à la physique. L'irrationalité n'est pas une tare humaine, une conséquence de ses fautes. La logique elle-même porte son péché originel au cœur de nos œuvres, de l'avenir commun de l'humanité et de ses machines. Rien ne nous garantit un progrès sans catastrophes. Mais la puissante dynamique du passé nous promet de passionnantes escalades pour le prochain millénaire.  


Retour au sommaire Page suivante