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Bye bye Dada

Christian de Cambiaire

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Quel est le but recherché par la mise en œuvre de procédures algorithmiques dans la création des œuvres d’art ? Sans aucun doute celui de la continuation de l’Histoire de l’art qui s’est presque totalement fourvoyée, depuis Duchamp, dans une voie où les créateurs sont condamnés à « inventer sans cesse de nouvelles ruptures, de nouvelles provocations » (comme le dit Pierre Berger, dans Peinture et Machine, sur ce blog). C'est-à-dire que, faute de ruptures profondes, il ne leur reste plus que la provocation et, contrairement au titre d’une célèbre exposition « Quand les attitudes deviennent formes » (1969, Kunsthalle de Berne, commissaire Harald Szeeman), les provocations, qui intéressent au plus haut point les sociologues, ne sont pas forcément des formes d’art.
Il ya donc tout un pan de l’histoire de l’art resté jusqu’ici à l’état virtuel mais qui pourrait s’écrire à partir de deux références historiques qui sont comme des bornes entre lesquelles nous pouvons réfléchir & fonder notre légitimité historique.

De la reproductibilité technique à la productibilité

La première est celle de Walter Benjamin qui avec L'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique (1936) ouvrit la voie à une réflexion sur les conditions d'existence nouvelles de l'art dans une société désormais dominée par les progrès de la technique.

Parmi les conséquences de ces rapports nouveaux de l'art avec la technique, il en est une que Benjamin évidemment ne pouvait pas prévoir, qui ne fut rendue possible que par l'apparition de l'informatique dans tous les niveaux de la vie moderne. C’est la légitimité, non plus d'une simple reproductibilité, mais d'une productibilité technique de l'œuvre d'art.
Ce passage à la productibilité technique est un enjeu essentiel qui doit nous guider dans la mise au point des modes opératoires et nous donner le moyen d'affirmer la continuité d'une modernité artistique qui ne craint plus de s'instrumentaliser dans la technique.

Mais hélas, face à ce progrès technique, les surréalistes ont réagi par le rejet et par un retour impératif vers les valeurs du rêve, de l'instinct, de l'inconscient, de l'automatisme, de l'occultisme. Ils ont contribué à la détestation du progrès et à la valorisation du fétichisme comme archétype mental.
De plus ils ont voulu donner à l'œuvre, plus ou moins directement, un contenu politique. N'oublions pas qu'André Breton, en 1930, a officiellement mis son mouvement « au service du Parti communiste.» Cette volonté de soumettre l’art à un contexte politique a lourdement influencé ses codes de perception et d’évaluation, éliminant de leur instrumentalité la frange de ceux qui ne partageaient pas la même idéologie.

Or, dans la réalité culturelle, ce sont bien les surréalistes, via Duchamp, Miro, et leurs nombreux descendants spirituels qui ont influencé et influencent encore la presque totalité de l'art dit contemporain.

A titre personnel, je ne me place pas dans cette logique. Si je devais à tout prix me trouver une généalogie artistique il faudrait la remonter aux contemporains des surréalistes, aux futuristes qui eux, à l'inverse des leurs concurrents avaient fondé dans la technique moderne et dans ses progrès fulgurants, l'essentiel de leurs valeurs et de leurs convictions, (avec toutes les réserves possibles sur l’orientation politique prise par la suite par le mouvement).

La productibilité technique nous suggère des modes opératoires résolument modernistes.

L'itération jusqu'à l'instant t

Comme vous, je défends le « tableau ». Et cela n'est pas contradictoire avec des modes opératoire modernes. Le tableau n’est pas forcément l’unique lieu où l’art peut se déployer, mais on ne doit pas non plus lui retirer toute pertinence et l’accabler de tant d’opprobre. Si modernes que soient les modes opératoires, ils produisent leurs effets dans une matérialité très traditionnelle, celle du tableau, « objet qu'on accroche au mur comme un fusil de chasse ou un chapeau, », pour reprendre les mots d'Heidegger - surface plane sur laquelle, en effet, sont des couleurs en un certain ordre assemblées.

Le tableau, selon la bonne vieille citation de Maurice Denis : « avant d'être une scène de bataille ou une femme nue, une peinture c'est essentiellement des pigments de couleurs assemblés selon un certain ordre sur une surface plane ».

Mais tout dépend de la nature de cet ordre. Pour ma part, permettez-moi de le rappeler, l'ordre qui a déterminé mes assemblages, c'est-à-dire mes e-paintings, n'est pas celui de la représentation, ni celui de l'expression de soi, ni celui de l'évocation des formes de l'expérience sensible, ni celui d'un message à l'adresse de la sphère sociale ou politique. Il est l'ordre de l'itération, c'est à dire d'une répétition différentielle.

Pour donner existence à l'ordre de l'itération, pour l'actualiser au mieux, il m'a été nécessaire d'inventer un nouvel outil, un nouveau mode opératoire qui a trouvé sa concrétisation dans la mise au point de mon logiciel d’art (software art) EXPLORER 2002. Celui-ci génère en continu un spectacle visuel basé sur la combinatoire d'un certain nombre d'éléments en perpétuelle transformation. Le spectacle est toujours différent dans les limites de son identité propre & selon les valeurs données aux différents paramètres du système. Le rôle nouveau du sujet artiste qui a été éloigné dans ce processus de toute tentation compositionnelle , c'est à dire de toute démarche heuristique, est de choisir dans cette continuité des moments privilégiés. C’est l’instant T où on appuie sur la touche stop, qui fige l’image destinée à être imprimée, à devenir un tableau qui vaudra donc par son "instantéité", si je puis me permettre ce néologisme.

Faisons émerger notre mouvement sur le plan culturel

Mais d’une manière plus générale, ces suites réglées de phénomènes imaginés par les artistes et si puissamment mis en œuvre par les ordinateurs qu’ils outrepassent le concept initial, ces algorithmes donc sont-ils capables de produire l’avènement de formes qui sans être vraiment « nouvelles » seraient déterminées par des qualités d’autonomie, de cohérence interne, de pertinence propre telles qu’elles apparaitraient comme des paradoxes affranchis des codes qui habitaient jusqu’alors le contexte de la création et seraient ainsi dotées d’une séduction renouvelée ? Aussi important que soit le mode opératoire en tant que pouvoir déterminateur de l’œuvre, sa limite réside dans les résultats induits : il y aurait échec s’ils étaient les mêmes que dans l’art du passé. Pour éviter ce danger essentiel, le donné visuel qu’il fait apparaître doit traduire sa structure algorithmique et (donc) stochastique à la lumière de catégories d’appréciation et de jugement qui devraient pouvoir émerger sur le plan culturel.

Ainsi donc la question se pose : les œuvres des quelque 40 algoristes figurant sur notre site sont elles fondées plutôt du côté de l’art contemporain ou plutôt du côté de l’ingénierie ou du graphisme industriel ? Dans le premier cas, sont-elles de nature à constituer je ne dis pas un mouvement mais tout au moins de faire l’objet d’une grande exposition qui aurait pour titre volontairement provocateur, quelque chose comme « Bye Bye Dada » ?