Emergence de Nouvelles
Morphogenèses
Arts et Technologies
de l’Image Université Paris VIII lioretalain@hotmail.com |
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Que se passe-t'il quand
des automates cellulaires rencontrent des L-Systems ? Cet article propose
plusieurs méthodes de réalisations combinant les régles de construction
d'automates cellulaires et de L-Systems, avec accouplements génétiques, réseaux
neuronaux, traductions de codes. Ces méthodes débouchent sur la morphogenèse
d'organismes, aussi bien pour leur structure (forme) que pour leur aspect
fonctionnel (réseau neuronal avec neurones moteurs, sensoriels, équilibre,
etc.)
Automates Cellulaires,
L-Systems, Morphogenèse, Réseaux de Neurones, Metaballs, .Algorithmes
Génétiques.
H.5.m.
Depuis très
longtemps, les artistes se sont inspirés des formes de la nature pour créer des
oeuvres. Sans remonter aux mythes de l’antiquité, on peut citer notamment
l’influence fondamentale d’Odilon Redon, dans sa série de tableaux « Les
Origines » [1] qui présente déjà en 1883 des créatures hybrides et
étonnantes (voir figure 1). De même, Goethe se passionne pour la biologie et
plus particulièrement pour une théorie de l’évolution des plantes très
particulière, avec son ouvrage
© Alain Lioret. 2004.
ATI.
S’ensuivent les
courants basés sur le biomorphisme et le biocentrisme (une période qui s’étend
environ des années 30 aux années 60), avec l’intervention de quelques artistes
majeurs dont Hans Arp, Max Ernst, Paul Klee, Pavel Filonov, Kazimir Malevich, ainsi que les français Jean Fautrier, Brassai, et
Wols.[5]. Il sera suivi du mouvement Eco-Art des années 60.
Plus récemment, avec
l’arrivée de l’ordinateur comme outil de travail pour les artistes, une nouvelle
génération de créateurs est apparue. Après la découverte fascinante des
fractals par Benoît Mandelbrot [6], de nouvelles perspectives de la nature
voient le jour. Puis, ce sont ensuite les « éleveurs d’art » qui
utilisent les techniques évolutionnistes de Darwin, adaptées par Richard
Dawkins [7] et ses célèbres biomorphs.
Figure.1 Les Origines par Odilon Redon.
Parmi les artistes les
plus connus dans cette catégorie, citons, William Latham [8], Karl Sims [9],
Steven Rooke [10] et Jeffrey Ventrella [11]. Ils côtoient à la même époque des
artistes qui utilisent des techniques évolutionnistes ou connexionnistes pour
créer des êtres doués de vie artificielle.
Cette dernière est un
domaine émergent dans les années 80/90, et se situe exactement à la frontière
des sciences et de l’art, au cœur même des problématiques liant créativité et
cognition. On peut citer notamment les travaux de Yoichiro Kawaguchi [12] ou de
Dans le vaste champ des
outils mis en œuvre par les applications de l’intelligence artificielle, les
automates cellulaires font partie des premiers à apparaître, notamment avec le
célèbre jeu de la vie proposé par Conway [14]. Les outils foisonnent et les
modèles d’automates cellulaires se diversifient avec des grands noms qui font
singulièrement avancer le domaine, comme Stefen Wolfram, avec son ouvrage
« A New Kind Of Science » [15].
Bien entendu, un certain
nombre d’artistes se penchent sur leur utilisation et essayent d’en faire
émerger de nouveaux styles d’œuvres. Citons par exemple, Paul Brown [16] bien
sûr, qui s’intéressent à ce domaine dés les années 70, mais aussi Scott Draves
[17], Erwin Driessens et Maria Verstappen qui en sortent de véritables
constructions 3D [18] et Matthew Fuller qui a initié le groupe Human Cellular
Automaton [19].
Figure 2 : Créature hybride créée par
Parallèlement une autre
forme de langage qui va servir les desseins de nouvelles morphogenèses est
inventé par Lindemmayer [20] : ce sont les L-Systems qui permettent de
générer des formes, et notamment des plantes à partir de grammaires récursives.
Les résultats obtenus avec ce type de techniques sont excellents et évidemment
les artistes, comme Laurent Mignonneau et Christa Sommerer [21], Christian
Jacob [22] entre autres s’intéressent à ces nouveaux modes d’expressions, en
les couplant très souvent avec des algorithmes évolutionnistes pour se
rapprocher encore un peu plus des théories de Darwin, comme le propose
Christian Jacob en combinaison avec les L-Systems.
Nous ne reviendrons pas
dans cet article sur l’imposante littérature qui existe dans la définition des
techniques de morphogenèse. Citons simplement l’inspiration que nous avons pu
tirer des travaux de D’Arcy Thompson [23] et de Rupert Sheldrake [24], grâce à
ses théories novatrices sur la « causalité formative » et les « champs
morphogénétiques » et dont les œuvres sont incontournables sur le sujet.
La morphogenèse est un
sujet passionnant qui apporte de grandes questions non encore résolues, c’est
un terrain d’expérimentation magnifique pour les artistes et les travaux
présentés ici vont dans cette direction.
Figure 3 : Life spacies II. © Christa Sommerer et Laurent Mignonneau.
1997.
Notre propos ne se résume
cependant pas à des recherches sur la morphogenèse structurelle uniquement. En
effet, si la forme, et donc l’aspect du corps sont forcément l’une de nos
préoccupations majeures, en tant qu’artiste présentant des images, nous nous
intéressons tout autant à l’aspect fonctionnel des créatures engendrées, qui à
notre sens ne peut être dissocié de l’aspect structurel.
C’est d’ailleurs cette
différentiation qui est bien trop présente dans les réalisations actuelles (les
personnages 3D, premiers acteurs virtuels), dont l’aspect visuel est déjà
poussé à un très haut degré, et même jusqu’au photo réalisme. D’un autre côté,
la partie fonctionnelle des nouvelles créatures semi intelligentes n’en est
pour le moment qu’au stade expérimental. Il est vrai que les mécanisme de la
vie sont si complexes, qu’on est obligé de s’accorder l’utilisation de modèles
simplifiés, comme celui de l’autopoièse proposé par Maturana et Varela [25].
L’originalité de ce
travail repose essentiellement sur une utilisation couplée des automates
cellulaires et des L-Systems. Cette recherche expérimentale découle d’un
constat simple : tous les systèmes proposant des réalisations de créatures
virtuelles (végétales ou animales) démarrent en général au stade de
l’assemblage de composants déjà matérialisée, comme les fameux blocs ou sticks
qu’on rencontre dans les travaux de Sims (voir figure 4), de création de
Golems, du logiciel Framsticks (que nous utilisons dans nos travaux), etc.
L’étape de développement
correspondant à la chimie moléculaire est systématiquement sautée, ce qui à
notre sens ne peut pas aider à la compréhension d’un développement originel.
Personne n’ayant à ce
jour toutes les réponses nécessaires au developpement de la vie, végétale ou
animale, on peut se permettre en tant qu’artiste (avantage indéniable sur les
scientifiques contraints de prouver ce qu’ils avancent) d’expérimenter dans de
nouvelles directions et visualiser les résultats de créations hybrides.
Figure 4 : Galapagos. © Karl Sims
Ainsi, plusieurs méthodes
d’accouplement des automates cellulaires avec les L-Systems sont proposées.
Nous ne citons ici que celles qui ont commencé à donner des résultats
intéressants mais bien d’autres sont possibles. Le principe dans tous les cas
est d’utiliser les règles de génération d’automates cellulaires comme fonction
de processus chimique, intervenant donc à différents stades de la morphogenèse
physique.
Méthode 1 : Création
de paysages entiers avec les lois cellulaires. Cette méthode consiste
simplement à quadriller un terrain 3D, et à utiliser des règles d’automates
cellulaires pour placer des graines de L-Systems qui vont donc survivre et
naître selon des schémas très précis. Plusieurs niveaux de complexité sont
étudiés, selon les formes de règles employées. Les plus simples sont basées sur
des couples de vecteurs Survie/Naissance, sur lesquels on peut faire pousser
des variétés L-Systems aux emplacements où la vie est possible. Des règles plus
complexes, avec des paramètres d’évolution des automates peuvent même
influencer les grammaires L-Systems qui se modifient en fonction de ces
paramètres (par exemple états, générations, etc.) (voir figure 5).
Figure 5. Un automate cellulaire appliqué à la pousse de végétation sur un
terrain.
Méthode 2 : Formes
L-Systems modifiées par des automates cellulaires. Dans ce cas, il s’agit
d’utiliser les automates cellulaires comme générateur de règles utilisées à
chaque étape récursive de la construction d’un L-System. C’est à dire qu’en
plus des règles grammaticales habituelles utilisées dans ces systèmes (dont les
F pour tracer les branches), on ajoute l’utilisation de règles (A,B,C, etc.)
qui sont en fait des règles d’automates cellulaires classiques. Ainsi, à chaque
nouvelle étape des processus de création, les règles cellulaires s’appliquent à la pousse de nouvelles
branches/feuilles/segments, selon les principes de survie et de naissance.
Cette méthode un peu plus complexe à mettre en œuvre présente l’avantage de
déboucher sur des créations moins prévisibles et donc plus naturelles.
Méthode 3 :
Accouplement génétique des règles de L-Systems avec les règles d’automates
cellulaires. Cette méthode n’est possible qu’avec certaines formes de règles
d’automates (il en existe de nombreuses variantes, nous nous sommes basés sur
celles présentées dans Mcell, le logiciel de Mirek Wojtowicz [26]). Ici, aussi
bien les règles L-Systems que les règles cellulaires sont considérées comme les
phénotypes, et les génotypes sont construits sur la base de codages binaires
multi paramétrés. Là encore, des résultats étonnants sont obtenus, même si une
justification scientifique d’un tel processus est excessivement difficile à
mettre en œuvre. Mais, après tout, la morphogenèse est bien un processus très
complexe qui ne peut se faire qu’en combinant de manière très étroite des réactions
chimiques avec des évolutions physiques (voir figure 5).
Figure 5 : une créature plante créée avec la méthode 3
Par ailleurs, nos
recherches nous ont également menées vers d’autres utilisations des automates
cellulaires pour la morphogenèse. Ainsi, de la même façon que nous avons
utilisé les règles d’automates cellulaires pour générer des végétations, nous
les avons appliquer à la construction de formes élémentaires, à partir de
Metaballs (ou blobs). Cette méthode très simple permet d’obtenir différentes
formes de base, que nous pouvons considérer soit comme des membres des futures
créatures (pour l’aspect structurel), soit comme des organes fonctionnels de
ces créatures (muscles, neurones sensoriels pour le toucher, l’odorat, la vue,
la recherche d’équilibre, etc.).
Les formes utilisées
comme membres sont les plus simples à générer et le sont à partir de règles
basiques de survie et naissance de ce qu’on peut considérer comme les cellules
constitutives des organismes vivants. Celles créées pour l’aspect fonctionnel
ne peuvent être générées qu’avec des règles plus évoluées d’automates. A noter
que des expériences évolutionnistes sur des populations d’automates cellulaires
ont été également utilisées pour ce processus.
Dans le même ordre
d’idée, les règles grammaticales des L-Systems ont été utilisées pour créer des
créatures, végétales ou animales (non dirons plutôt de type animat), quant à
leur aspect structurel. Ce type de création plutôt classique n’a pas apporté de
pistes très innovantes dans notre système de création, mais à permis de
compléter les réalisations mises en place. Ce fut surtout l’une des étapes de
test pour la co-évolution neuronale appliquée sur les créatures, réalisée
principalement avec le logiciel Framsticks. [27].
L’une des étapes très
importante de notre étude sur la morphogenèse se déroule au sein du logiciel
Framsticks. Il s’agit d’un simulateur de vie artificielle très évolué et
programmable, qui permet de réaliser toutes sortes d’expériences. Nous l’avons
donc inclut dans notre pipeline de réalisation pour faire évoluer les
créatures, à la fois dans leur aspect structurel et surtout dans leur aspect
fonctionnel (réseau de neurones) (voir figure 6).
Des populations diverses
de créatures réalisées avec les différentes méthodes décrites plus haut ont été
soumises au système évolutionniste de Framsticks. Avec différents critères
établis (vitesse, équilibre ou tout simplement esthétique) nous avons mimé les
processus d’évolution à grande échelle, ce qui a permis d’obtenir des créatures
originales, autonomes dans leur comportement, et capables d’êtres utilisées
pour diverses tâches de base : courir, attraper une proie, fuir, etc., et
même danser !
Figure 6 : Une créature évoluée issue du processus de création
A partir de ce schéma
créatif, il est possible de sortir différents types d’œuvres, qui sont de trois
types : images fixes, images animées pré-calculées, images animées temps
réel. Seule cette dernière catégorie peut vraiment rendre compte de l’aspect
fonctionnel des créatures, même si la qualité du rendu temps réel ne permet pas
d’apprécier totalement la qualité structurelle qui peut être mise en œuvre avec
ce système. C’est pour cela que nous avons également réalisé des œuvres
calculées, avec différents types de rendu, afin de pleinement profiter d’une
morphogenèse picturale tout à fait intéressante.
Notamment, nous avons
fait un certain nombre d’essais avec des méthodes de rendu non photo réaliste,
selon les principes exposés par Aaron Hertzman [28] pour la vidéo peinture.
Parmi les réalisations obtenues, celles-ci présentent l’avantage de fournir de
nouveaux styles de peintures vivantes, auto organisées et de créer des tableaux
originaux directement issus de la vie artificielle (voir figure 7). De plus,
cette méthode de travail débouche naturellement sur de nouvelles esthétiques du
mouvement, comme décrites dans [29].
Figure 7 : Une autre créature rendue avec une technique non photo
réaliste, peinture vivante.
L’originalité de ce
système réside dans la combinaison des techniques présentées pour bâtir des
modèles de morphogenèses nouveaux. Les règles d’automates cellulaires et de
L-Systems n’avaient encore jamais été utilisées de cette manière. Le but
principal était ici de fournir des « patterns » de création de vie
telle qu’elle pourrait être, comme le décrit très bien Fritjof Capra, dans son
ouvrage,
Je tiens plus
particulièrement à remercier
1. Viala, Jean. Odilon Redon. Editions ACR. 2001.
2.
Goethe.
3. Haeckel, Ernst. Art Forms in Nature: The Prints of Ernst Haeckel. Editions Prestel. 1994
4. Adam, Hans-Christian. Karl Blossfeldt. Editions Taschen. 2004.
6. Mandelbrot, Benoît. Les Objets fractals : forme, hasard et dimension, survol du langage fractal.. Editions Flammarion. 1999.
7. Dawkins, Richard. L’horloger Aveugle. Editions Robert Laffont. 1999
8.
Latham,
William. The Conquest of Form: Computer Art by William
Latham. Arnolfini Gallery,
9. Sims, Karl. Evolving Virtual Creatures. Computer Graphics (Siggraph '94 Proceedings), July 1994, pp.15-22
10. Rooke, Steven. An Introduction to Creative Evolutionary Systems. In
Creative Evolutionary Systems, p339-365. Editions Morgan Kauffman. 2001
11. Ventrella, Jeffrey. Animated Artificial Life. Virtual Worlds: Synthetic Universes, Digital Life, and Complexity, Chap. 3 . Editions Perseus Books. 1999.
12.
13. Bret, Michel. Virtual Living Beings, in Lecture Notes in Artificial Intelligence 1834: Virtual Worlds 119-134, Ed. Jean-Claude Heudin, Springer 2000.
14. Gardner, Martin. The fantastic combinations of John Conway's new solitaire game "life". Scientific American. 223 (October 1970): 120-123.
15. Wolfram, Stephen. A New Kind of Science. Editions Wolfram Media. 2002
16. Brown, Paul. Site :
http://www.paul-brown.com/.
17. Draves, Scott. Site : http://draves.org/art.html
18. Driessens, Erwin et Verstappen, Maria. Site : http://www.xs4all.nl/~notnot/
19. Fuller, Matthew. Human Cellular Automaton.
Site : http://www2.snm-hgkz.ch/~maja/poiesis/hca.html
20. Lindenmayer, A et Prusinkiewicz, P. The Algorithmic Beauty of Plants P., Springer-Verlag,
1994..
21. Mignonneau, Laurent et Sommerer Christa. Site : http://www.iamas.ac.jp/~christa/index.html
22. Jacob, Christian. Site : http://pages.cpsc.ucalgary.ca/~jacob/
23. D’Arcy Thompson ,W. Forme et Croissance. Editions
Seuil. 1994.
24. Sheldrake, Rupert. Une
nouvelle science de la vie. Editions Rocher. 2003
25. Varela, FJ. Autonomie et Connaissance. Editions Seuil. 1989.
26. Wojtowicz, Mirek. Site : http://www.mirwoj.opus.chelm.pl/ca/
27. Komosinski, M. The World of Framsticks: Simulation, Evolution,
Interaction. In: Proceedings of 2nd International Conference on Virtual Worlds (VW2000),
Paris, France, July 2000. Springer-Verlag (LNAI 1834), 214-224.
28. Hertzman, Aaron. Painterly Rendering for Video and Interaction. NPAR. 2000
29. Lioret, Alain. Emergence de Nouvelles Esthétiques
du Mouvement. Editions L’Harmattan. 2004.
30. Capra, Fritjof.