Sommaire : Trois questions à Claude Amenc (VP de Eurogiciels) | Théories et concepts | Enseignement | Le livre de la semaine |
"On a envie de recommander aux chercheurs de prendre une mentalité commerciale, de répondre à la demande. Mais, ils ont raison de ne pas vouloir être bridés par des besoins immédiats. La recherche doit pouvoir lancer des idées auxquelles le commerce n'a pas pensé. C'est à nous de les mettre en musique."
Asti-Hebdo : A la différence de la majorité des SSII françaises, celles que vous animez ont toujours fait appel aux chercheurs. Pourquoi ?
Claude Amenc : Chez moi, c'est congénital. Dans ma vie professionnelle, j'ai toujours été un vecteur d'application de technologies issues des recherches les plus fraîches. Et, comme entrepreneur, mon souci est surtout de leur trouver des applications le plus vite possible.
C'est en 1984 que j'ai lancé un premier centre de recherche et développement en génie logiciel, sous l'impulsion de Guy Canevet à la Cisi, filiale du CEA. C'était à Sophia-Antipolis, avec Olivier Roubine. Il a travaillé, avec toute son équipe, sur les analyseurs syntaxiques, dans le cadre d'un accord avec l'Inria (notamment Mentor), et nous avons été les premiers en France, après Alsys, à être capables de réaliser des compilateurs Ada opérationnels, ce qui nous a valu un contrat avec Matra.
Dans le même temps, nous avions détecté le besoin de créer une autre équipe qui se consacrerait à l'intelligence artificielle. Nous l'avons confiée à Claude Vogel. Comme je voulais à tout prix qu'il mette de la méthode dans sa démarche de cogniticien, je lui ai demandé de dialoguer avec l'équipe du génie logiciel. Il en est sorti, à tout le moins, deux méthodes : OOD, sous la férule de Michel Lai, travaux qui ont ensuite servi de base à la mise en forme de la méthode Hood pour l'ESA (La conception orientée objet : Pratique de la méthode Hood, par Michel Lai, Dunod, 1991, retirage mai 1993) et, côté Intelligence artificielle, KOD (Génie cognitif, par Claude Vogel, Masson 1988).
Puis j'ai créé ma propre société d'intelligence artificielle, Ingénia, qui est devenue assez rapidement le numéro Un du domaine en France. Nous avons à cette époque travaillé avec deux laboratoires d'IA de Marseille. Nous avons été une des premières sociétés à nous lancer dans la programmation objet. Au début de 1993, nous avons lancé de très grands projets en Smalltalk, pour des entreprises d'assurance et des caisses de retraites, à l'instar d'un mouvement qui se produisait aux Etats-Unis. Ce langage objet avait vingt ans, mais jusque là n'avait pas trouvé de vraie application industrielle. Nous avons, sur ce projet, mis sur pied un partenariat avec l'Ecole des mines de Nantes (Pierre Cointe). En 1996, l'arrivée d'un nouveau langage objet, Java a coupé l'herbe sous le pied de Smalltalk. Les entreprises se sont posé des questions... et ont bloqué les projets Smalltalk en attendant d'être sûres qu'elles pouvaient se lancer sans risque sur le nouveau langage.
Pour coopérer avec les laboratoires, nous avons exploité les différents dispositifs juridiques disponibles : contrats Cifre, projets Anvar, accords de prestation avec des universités, stages... Quant à l'attitude des chercheurs, c'est un problème philosophique. On a envie de leur recommander de coller à la demande. Mais, ils ont raison de ne pas vouloir être bridés par des besoins immédiats. La recherche doit pouvoir lancer des idées auxquelles le commerce n'a pas pensé. C'est au commerce de les mettre "en musique".
A.H. : Où en êtes-vous aujourd'hui ?
C.A. : Aujourd'hui, je suis vice-président d'Eurologiciel, qui a racheté en 2002 Nagora, que j'avais créée en 1997. Mon principal rôle est d'en guider la stratégie technologique, de la faire passer dans les moeurs, de contribuer à développer le savoir-faire et l'image de la firme dans l'univers des technologies avancées, de faire en sorte que notre société ait du relief par ses compétences spécifiques. J'en profite pour signaler la sortie imminente d'un ouvrage de référence sur les Web services XML, chez Eyrolles, rédigé par trois collaborateurs de Nagora, Libero Maesano, Christian Bernard et Xavier Legalles.
Eurogiciel, fondée et présidée par Daniel Benchimol, emploie 300 personnes. C'est une entreprise à taille humaine, et nous gardons l'esprit de curiosité et de recherche en permanence. C'est cela que je fais passer dans mes tournées auprès de toutes nos agences. Nous souhaitons que la culture "technologique" soit présente dans tous les compartiments de l'entreprise.
Notre chiffre d'affaires se répartit sur trois types de projets :
- 40 % environ dans les projets aéronautiques et spatiaux (et plus généralement, industriels) où nous avons des compétences pointues ; cela s'explique en partie par les origines toulousaines de la société ;
- 30% dans la qualité et la gestion de projets autres que l'informatique (satellites, lignes de métro...), en soi atypique pour une société dont le titre même évoque explicitement le logiciel ;
- 30% dans l'informatique du secteur tertiaire, avec des services web, de l'ingénierie de projets web, et une activité importante en gestion de contenus ; dans ce secteur, nous nous faisons une spécialité des technologies nouvelles ; c'est la plus petite part de notre chiffre d'affaires, mais c'est là que s'ouvrent les perspectives les plus prometteuses.
Les "services web XML" constituent la première vraie lueur d'espoir en vue d'une d'une vraie interopérabilité. Depuis des décennies qu'on en parle, c'est la première fois que l'on voit un mouvement de cette ampleur, qui dispose à la fois de bons outils et d'industriels qui s'engagent. Les services web XML permettent, bien sûr, la communication entre deux sites web. Mais ils vont bien au delà, et ils marqueront l'architecture et l'urbanisation même des systèmes d'information.
A.H. : Faites-vous vraiment de la recherche ?
C.A. : Oui, même si la conjoncture actuelle nous oblige à une grande prudence dans nos investissements. Nos efforts portent soit sur de la valorisation de la recherche, soit sur des actions propres de R&D. Avec deux principaux thèmes.
Le premier, c'est une action tripartite de valorisation de la recherche, collaboration entre la société Spikenet (l'éditeur), l'université de Toulouse (l'inventeur) et Eurogiciel (l'intégrateur). Elle porte sur la reconnaissance des formes, de visages en particulier. C'est une technologie à base de neurones. La commercialisation est commencée. Le produit est bien positionné, par son efficacité et sa rapidité. La recherche continue pour améliorer le modèle.
Le deuxième est la gestion de contenu. C'est une action de recherche et de développement que nous menons en interne, avec des soutiens de l'Anvar. Il y a déjà des outils sur le marché, mais notre approche, basée sur l'expérience du terrain, est de développer un véritable framework de composants logiciels, et de l'adapter ensuite aux besoins de nos clients. Nous l'avons développé en Java/XML et nous projetons de construire un framework équivalent en .NET.
Nous nous posons aujourd'hui la question de faire évoluer ces composants de gestion de contenus vers les services web. La solution la plus immédiate, pour échanger des contenus, c'est de se mettre d'accord sur une structure XML et de gérer des flux d'import-export. Mais il serait intéressant d'encapsuler ces flux dans des messages Soap, de définir des interfaces avec WDSL et d'en faire un annuaire avec UDDI. Dans cette optique, chaque contenu devient un service web. C'est la solution la plus ambitieuse. Là, il s'agit vraiment de recherche. Nous l'avons lancée, et nous intensifierons notre effort si nous trouvons un financement approprié.
Propos recueillis par Pierre Berger
"Power-avare computer systems", c'est le titre d'un colloque tenu à Cambridge en 2002, et donc les actes révisés viennent d'être publiés par Springer. (B. Falsafi, T. N. Vijaykumar (Eds.) : Power-aware computer systems Second International Workshop, PACS 2002 Cambridge, MA, USA, February 2, 2002. Revised Papers Sommaire).
Il s'agit bien entendu d'économies d'énergie, mais le concept est plus fin, et plus intéressant philosophiquement. Comment traduire l'expression en français ? "Ordinateur conscient de sa puissance", "Ordinateur écologiquement conscient"... pourquoi pas paresseux. Ou simplement : économe ?
Si vous avez une bonne idée (ou une idée bien arrêtée), merci de mettre un courriel à la rédaction d'Asti-Hebdo.
Dans le dernier numéro, nous demandions à nos lecteurs comment
traduire "legacy". Nous avons reçu trois réponses :
- Christophe Gauthier (Journaliste, Le monde informatique) : "J'ai tendance
à traduire ça par "patrimonial". Cela fonctionne
pour les applications, pour les systèmes aussi... Car il s'agit bien
du patrimoine applicatif et d'infrastructure de l'entreprise !"
- Noury Bouraqadi (Enseignant/chercheur, Ecole des mines de Douai - Dept. GIP)
: "application patrimoine" pour "legacy application".
- Pierre-Henri Sénési (Université de Nice) propose "héritage,
applications héritées" .
Conclusion : Nous avions déjà proposé "patrimoine" dans le dictionnaire. Cela fait une majorité de trois contre un pour "patrimoine" ou "patrimonial". Nous soumettons cette proposition à la commission de terminologie (et à Jean-Claude Rault, pour les journées qu'il organise au CMSL). Merci à ceux qui ont répondu.
Le système d'information décisionnel. Construction et exploitation, par Pascal Muckenhirn. Un ouvrage de synthèse appuyé sur de nombreuses études de cas.
Vision. David Vernon (Ed.) : Computer vision - ECCV 2000.
6th European conference on computer vision, Dublin, Ireland, June 26 - July
1, 2000. Proceedings, Part I. Sommaire
et David Vernon (Ed.) Computer Vision - ECCV 2000. 6th European
conference on computer vision, Dublin, Ireland, June 26 - July 1, 2000. Proceedings,
Part II Sommaire
Réseaux de Petri. Susanna Donatelli and Jetty Kleijn (Eds.) Applications and theory of Petri nets 1999. 20th international conference, ICATPN'99, Williamsburg, Virginia, USA, June 21-25, 1999. Proceedings. Sommaire
Réseaux de capteurs. F. Zhao and L. Guibas (Eds.) : Information processing in sensor networks Second international workshop, IPSN 2003, Palo Alto, CA, USA, April 22-23, 2003. Proceedings. Sommaire
Calcul évolutionnaire. S. Cagnoni, J.J. Romero Cardalda,
D.W. Corne, J. Gottlieb, A. Guillot, E. Hart, C.G. Johnson, E. Marchiori, J.-A.
Meyer, M. Middendorf, G.R. Raidl (Eds.) : Applications of evolutionary computing
Evo workshops 2003: EvoBIO, EvoCOP, EvoIASP, EvoMUSART, EvoROB, and EvoSTIM,
Essex, UK, April 14-16, 2003. Proceedings
Sommaire
Optimisation multi-critère évolutionnaire. C.M.
Fonseca, P.J. Fleming, E. Zitzler, K. Deb, L. Thiele (Eds.) : Evolutionary
multi-criterion optimization Second international conference, EMO 2003,
Faro, Portugal, April 8-11, 2003. Proceedings
Sommaire
Sémantique dans les bases de données. L. Bertossi,
G.O.H. Katona, K.-D. Schewe, B. Thalheim (Eds.) : Semantics in databases
Second international workshop, Dagstuhl Castle, Germany, January 7-12, 2001.
Revised Papers. Sommaire.
- A noter dans cet ouvrage l'expression de logique paraconsistante,
dans le texted'Hendrik Decker. (Instituto tecnológico de
informática, Universidad politécnica de Valencia, Espagne), qui
y voit une contribution conceptuelle aux fondements même des bases de
données. Il propose une définition procédurale de la paraconsistance
et montre comment elle s'applique aux systèmes de requêtes. Sur
ce concept de logique paraconsistante, on peut aussi lire sur la toile un texte
de Jean-Paul Delahaye
Programmation par contraintes. B. O'Sullivan (Ed.): Recent Advances in Constraints. Joint ERCIM/CologNet International Workshop on Constraint Solving and Constraint Logic Programming, Cork, Ireland, June 19-21, 2002. Selected Papers. Sommaire
Filigrane F.A.P. Petitcolas, H.J. Kim (Eds.): Digital Watermarking First International Workshop, IWDW 2002, Seoul, Korea, November 21-22, 2002. Revised Papers Sommaire
Groupes d'ingénieurs (ou d'ingénierie...)dans le monde
des agents. P. Petta, R. Tolksdorf, F. Zambonelli (Eds.): Engineering
Societies in the Agents World III Third International Workshop, ESAW 2002, Madrid,
Spain, September 16-17, 2002. Revised Papers
Sommaire
- Ce travail est intéressant car le "groupware" porte ici à
la fois sur les groupes d'agents (logiciels) et de personnes.
Dans sa lettre d'information, le PCIE signale qu'une formation bureautique, validée par le PCIE, vient d'être cofinancée par la Délégation aux droits des Femmes et le FSE. Cette formation d’une durée globale de 180 heures, à raison de 3 heures par jour, s’adresse exclusivement à un public féminin, et vise à réinsérer professionnellement des femmes qui avaient dû quitter le monde du travail soit pour suivre leur conjoint soit pour élever leurs enfants. La Délégation aux droits des femmes intervient également pour des formations visant à féminiser un emploi dit « masculin ».
On se demande parfois pourquoi le "groupware" a tendance à se refermer sur son volet technico-technique, devenant presque synonyme de "middleware", et pourquoi les outils d'aide au travail en groupe ne dépassent pas beaucoup le courrier et la Toile, malgré de brillantes idées lancées depuis quelques vingt ans.
Le livre de Jacques Lonchamp "Le travail coopératif et ses technologies" (Hermès/Lavoisier 2003) permet de le comprendre : dès qu'on essaie de travailler vraiment sur et pour les groupes, tout devient horriblement compliqué.
D'abord au plan théorique. Cette substantielle synthèse (319 pages en caractères assez petits, avec une grosse bibliographie) commence par une première partie où il présente quatre approches théoriques du travail coopératif considéré dans sa globalité : théorie de l'activité, cognition distribuée, théorie de la coordination, ergonomie cognitive. Elle met en lumière "la grande complexité des phénomènes coopératifs" et la grande diversité des questions à prendre en compte.
Ensuite au plan technique. Quatre thèmes regroupent la présentation
des solutions :
- médiatisation des communications directes entre participants,
- partage des objets et contrôle de leur accès,
- organisation et gestion des contextes dans lesquels s'inscrit la coopération
(processus, tâches, conférences, sessions),
- conscience de groupe (conscience mutuelle de la présence et de l'activité
des autres).
Enfin, la troisième partie du livre présente trois domaines d'application significatifs : conception collective, apprentissage collaboratif, développement de logiciel sur Internet par des communautés de programmeurs.
Superbe ! Nous ne résistons pas au plaisir de citer in extenso les paragraphes de conclusion, intitulés "Des défis à relever" :
"Un vaste champ de recherche reste donc ouvert. Un facteur décisif de succès réside sans doute dans la généralisation prévisible des entreprises "virtuelles" (ou "éclatées" ou "en réseau") et des grands projets coopératifs de toutes natures mettant en communication des partenaires géographiquement dispersés. Dans ces contextes, la coopération et l'utilisation de systèmes d'assistance à la coopération est indispensable à l'exercice même de ces activités, en donnant l'illusion de la coprésence (being there). Ces situations vont constituer un terrain d'expérimentation idéal pour des applications pilotes, servies par des acteurs souvent motivés. On peut en attendre des retombées ultérieures dans les contextes de travail classiques, où la réticence a priori envers les technologies de la coopération est beaucoup plus forte, à condition toutefois que l'apport réel des systèmes aille au-delà de la seule coprésence (beyond being there [Hollan et Strornetta 92]).
"L'introduction des systèmes coopératifs est un défi technique, organisationnel et surtout culturel [David 01]. Nous avons déjà largement évoqué certains défis techniques liés à la malléabilité ou à la capillarité et nous n'y revenons pas. du point de vue organisationnel, le travail coopératif assisté par ordinateur facilite la gestion par projets et participe à l'aplatissement de la pyramide hiérarchique. Son introduction doit s'inscrire dans une réflexion générale de ré ingénierie des processus organisationnels. Le travail coopératif assisté par ordinateur implique également des changements culturels. Certaines règles doivent être rigoureusement respectées, comme le partage explicite des informations et des données d'emploi du temps ou de disponibilité. Ces comportements peuvent conduire à des sentiments de perte de pouvoir, comme le pouvoir de détention exclusive d'une information.
"Il n'est pas étonnant en définitive qu'une mutation aussi profonde des habitudes de travail, touchant au domaine intellectuel, social et créatif, puisse exiger beaucoup d'efforts et beaucoup de temps pour se concrétiser et se généraliser".
Les chercheurs ont du pain sur la planche ! P.B.