La machine à écrire

Parallèlement à l'évolution de l'imprimerie au sens classique, (Voir notice Impression ) s'introduit au XIXeme siècle une autre filière de création de texte "imprimé", la machine à écrire. Après quelques précurseurs (Beach 1857), c'est en 1872 que la machine conçue par Shole et Densmore et fabriquée par l'armurier Remington connaît le succès.

Principes techniques

A la différence de l'imprimerie traditionnele, le processus d'impresssion est ici direct et intégré entre l'auteur (s'il sait lui-même "taper à la machine") et son oeuvre. Cela est permis par
- la mise en relation directe de chaque touche du clavier avec un caractère en plomb,
- une nouvelle méthode d'encrage ; l'encre n'est plus déposée sur le cliché avant la pression, mais portée un ruban de textile qui s'interpose au moment de la frappe entre le papier et le caractère.

Les limites du procédé sont étroites. La machine ne dispose que d'un seul jeu de caractères. Pour en réduire le nombre, et ne pas agrandir démesurément le clavier, on passe des majuscules aux minuscules par pression sur une touche. L'espacement est fixe. La qualité d'impression est médiocre : alignement souvent approximatif des caractères, report d'encre imprécis puisque c'est le ruban textile qui vient au contact du papier. En revanche, à la différence des imprimantes jusqu'à la fin du XXe siècle, elles ont un minimum de "couleur", grâce à un ruban encreur divisé en deux bandes, une noire, une rouge.

En outre, l'impression par frappe mécanique permet d'obtenir une ou plusieurs copies de l'original. (Mais la correction des erreurs est fastidieuse).

Les machines les plus perfectionnées disposent de tabulateurs, d'une impression en deux couleurs, par déplacement vertical d'un ruban bicolore...

Cette technologie va rester pratiquement inchangée dans son principe jusqu'à la fin des années 50. On ne note que de petites améliorations en motorisant le retour du chariot (d'où la touche "return" des claviers, rebaptisée par la suite "Entrée"), puis la frappe elle même, avec un avantage dans la régularité et une réduction de l'effort à fournir.

Dans les années 1930-1950, on dépassera certaines de ces limitations en remplaçant les barres séparées par un bloc métallique portant tous les caractères, et donc interchangeable. On choisit d'abord un cylindre (Varityper), puis une "boule" (IBM et épigones), ou une marguerite (Olympia). Cette technique permet aussi de proposer l'espacement proportionnel, sensiblement plus esthétique.

A la même époque, on améliore la qualité d'impression avec des rubans de plastique carbonés qui apportent une netteté comparable à la typographie. Ce procédé est même utilisé par certains éditeurs pour obtenir à meilleur marché qu'avec la linotype des textes à reporter sur les machines offset. On ajoute aussi des rubans d'effacement, soit par surimpression de blanc, soit par arrachement au moyen d'un ruban adhésif.

En revanche, on est frappé par l'extrême stabilité de la disposition des claviers. La position des touches a été standardisée vers 1880 de manière à empêcher les barres de frappe de s'emmêler. Dans ce but, les lettres sont réparties entre main gauche et main droite, et des lettres d'usage fréquent comme le A sont placées sous le petit doigt pour éviter une trop grande vitesse. Ces raisons ayant disparu avec la frappe tout électrique, certains innovateurs français, comme Marsan (et, dans sa foulée, Neuville) tentent dans les années 70 de proposer une disposition rationnelle et ergonomique. Mais ils arrivent trop tard, la norme est en place, et d'ores et déjà transposée au monde des terminaux et bientôt des ordinateurs personnels. (Voir l'article de Jean-Jacques Maleval, en bibliographie).

D'autres essais sont tentés. Par exemple un clavier rangé dans l'ordre alphabétique sur certains modèles de minitel. Ou des claviers en boule, pour une seule main (vers 1978). Tous sans succès.

Signalons quelques types particuliers de machines à écrire : machines à très large chariot, machines frappant à plat (positionneuses, en fait combinées avec des dispositifs d'addition), facturières, scribers (pour la préparation des plans).

L'emploi de liasses à carbonage sélectif a permis quelques emplois sophistiqués : une seule frappe permet par exemple l'ouverture d'un dossier, la préparation d'une lettre d'accusé de réception à la personne qui l'a fait ouvrir, d'une note aux services concernés, voire d'une fiche cartonnée...

La machine a écrire a un autre atout : elle est facile à piloter à distance. Cela sert d'abord à un perfectionnement de la télégraphie, qui se normalisera sous forme de Telex, une technologie efficace jusqu'à la fin du XXe siècle. Cela sert ensuite, dès le début de l'informatique, à en faire une interface bien adaptée au pilotage des ordinateurs. Dès 1915, Torres y Quevedo envisageait de l'utiliser comme organe de sortie pour ses automates généralisés.

Les impacts sociaux de la machine à écrire

La machine à écrire, dès ses origines, est mise en oeuvre dans différents types d'organisation.

D'abord à titre individuel, et en particulier à domicile. A la fin des années 30, on en trouve dans tous les ménages bourgeois, souvent dans des modèles portatifs. Mais elle devient aussi l'outil de travail de bien des écrivains, journalistes ou experts opérant individuellement.

Ensuite dans les entreprises, où elle fait émerger une nouvelle catégorie sociale, la dactylo. Tantôt les dactylos sont regroupées dans des entreprises spécialisées (pour la publicité, notamment). Tantôt elles sont réparties dans les services des grandes enterprises. Dans les années 1950-60, on tend à les regrouper en "pools" pour en accroître la productivité et le professionalisme.

Cette profession est un peu plus qualifiée que celle du simple "employé aux écritures". Elle exige l'apprentissage de "la frappe à dix doigts". Pour autant, elle n'offre a priori aucun avenir. Il est d'ailleurs interdit aux cadres de se servir eux-mêmes d'une machine. Mais elle est, pour de nombreuses jeunes filles, un point d'entrée dans la vie professionnelle. De là, elles tentent le plus souvent de transformer, par deux filières possibles :
- une filière de compétence technique et de capacité d'encadrement : employé de bureau, agent de maîtrise, cadre ; par exemple en s'inscrivant dans les filières de formation professionnelle mises en place dans des secteurs comme la banque et l'assurance.
- une filière de compétence humaine et relationnelle : sténo-dactylo, secrétaire, secrétaire de direction. Le succès dépend du sérieux professionnel, de la maîtrise d'autres fonctions du secrétariat (classement, communication téléphonique) et d'une bonne aptitude à jouer le couple patron-secrétaire.

Personnel féminin et placé en position de subordination dans un monde largement masculin, il était inévitable que les dactylos soient l'objet-type d'un harcèlement sexuel réel ou fantasmé (voir les petits romans de Bazin et Roubaud cités en bibliographie).

Assez rarement, on voyait des hommes taper à la machine, même en position élevée. Le président américai Wilson par exemple, selon la biographie de Frances Farmer (La colombe, éditions du Vieux Colombier, Paris 1957) en 1916 "La tension grandissante en Europe obligea Wilson à taper à la machine, tous les soirs et jusque fort tard dans la nuit" (en partie pour des raisons de chiffrement), mais pas uniquement puisque, su rla fin de sa vie (1920) "En dépait d'une vue défaillante et d'une diminution sensible de ses forces physiques, Wilson s'évertuait à taper à la machine... ".

Le traitement de texte et la fin de la machine à écrire

La connexion de machines à écrire à des dispositifs informatiques est envisagée dès le début du XXeme siècle (Danrit 1910, Torrez y Quevedo 1915). Elle se fait très vite l'auxiliaire du télégraphe, et le téléimprimeur (souvent appelé par le nom de marque Télétype, abréviation TTY) est dès les origines de l'ordinateur empoyé comme console de commande puis comme terminal pour l'utilisation à distance.

Au niveu des bureaux, puisqu'on sait piloter la machine à écrire à distance, on peut aussi la commander localement à partir de fichiers, ou s'en servir pour enregistrer des fichiers. Pendant quelques années, autour de 1970, des systèmes rudimentaires de traitement de texte, à cassette, sont utilisés pour les campagnes commerciales. Mais la lenteur des procédés, l'assez grande difficulté de leur emploi ne leur permettront ni de se répandre beaucoup ni surtout de résister au traitement de texte sur ordinateur.

Au début des années 1980, la machine à écrire tente de s'apprivoiser l'électronique pour élargir ses applications. On lui intègre un peu de mémoire vive pour conserver une ligne de frappe et en faciliter la correction... Olivetti, au début des annes 1980, lance un superbe produit qui sera le chant du cygne de cette famille technologique. Quelques fabricants continuent cependant, au moins jusqu'à la fin du XXe siècle, à proposer des machines pour le marché domestique.

L'arrivée du traitement de texte est considérée comme une catastrophe par une partie des dactylos, surtout les meilleures, qui sont devenues de véritables virtuoses des tableaux, lettres composées pour les titres et autres morceaux de bravoure de la dactylographie. Mais, pour la plupart des utilisateurs, cette évolution technologique est saluée comme un progrès considérable, malgré des résistances dues à la crainte du changement. Le traitement de texte permet en effet à tous d'obtenir des documents imprimés d'une grande qualité d'impression, d'y apporter en cours de frappe non seulement des corrections d'erreurs mais des mises au point.

En fait, c'est la manière même de rédiger qui se trouve modifiée. On retrouve presque la souplesse du manuscrit, alors que la MAE obligeait à bien penser son texte à l'avance. A notre connaissance, aucune étude approfondie n'a permis d'évaluer solidement si cela avait eu des conséquences sur le style des auteurs. Les travaux de Scavetta à Paris VIII n'ont pas été concluants sur ce point.

Socialement, le couple cadre/secrétaire devient exceptionnel à partir des années 1990. Les cadres, avec plaisir ou contraints et forcés, apprennent à se servir d'un clavier. L'arrivée d'Internet renforcer la motivation (ou la contrainte).

Cependant, comme il est assez difficile, et long, de parvenir à une disposition élégante et efficace des documents (rapports, pages de présentation, etc.) certaines secrétaires se font une spécialité de cette mise en forme en aval du travail de premier jet élaboré par le cadre. (Hervé Nora, du Cigref, les qualifie d' "esthéticiennes").

Le traitement de texte sur ordinateur mettra quelque 25 ans, de 1975 à 2000, pour faire de la machine à écrire un objet de musée, ou une curiosité employée encore ici et là en 2003 (y compris dans un Institut de recherche en informatique que nous ne dénoncerons pas) pour préparer des badges.

Bibliographie

René Bazin : Le mariage de mademoiselle Gimel, dactylographe. Calmann-Lévy. Vers 1900.
Clémentel E. avec la collaboration de De Toro M. : Larousse commercial illustré. Larousse 1930.
Hercent Fernand : Cours rationnel de dactylographie. Gibert 1941.
Laufer Roger. La machine à écrire. Institut d'étude du livre. Solin, 1982.
Maleval Jean-Jacques : Et si l'on touchait au clavier Azerty ? in Informatique et gestion numéro 82, novembre 1976.
Mathelier Clément : Manuel de dactylographie. Ch.Raquit, Port au Prince, 1927.
Neuville Yves : Le clavier bureautique et informatique. Cedic/Nathan, 1985.
Niard J. et Moreau R. : Electronique et machines électriques. Nathan 1984.
Ponthière M. Le bureau moteur, Delmas 1935. (voir extrait ci-dessous).
Roubaud Louis: Rosy Carpin, dactylo. Excelsior, Paris, 1934.
Scavetta Domenico : Les nouveaux outils d'écriture: du traitement de texte à l'hypertexte. Thèse Université Paris 8, Année académique 1987-88, sous la direction de Roger Laufer.
Scom (Service central organisation et méthodes, ministère des Finances) : Les centraux de dactylographie, 1973
Sicob. Catalogues. Années 1950-1990.

Revues :
- Mon bureau (du début du XXe siècle jusqu'aux années 1930)
- Traitement de Texte (1980-1985)

P.B. 3/2003


La machine à écrire en 1935
selon M. Ponthière, in Le bureau moteur. Delmas 1935

La machine à écrire est, en quelque sorte, la mère de toute la mécanique de bureau. Elle s'est imposée par la présentation soignée qu'elle donne à tout document administratif, lisibilité parfaite, alignements corrects, clarté complète. Grâce à elle, toute écriture devient aussi nette que l'imprimé. Elle a également introduit au bureau une grande économie en supprimant les travaux de copie, le papier carbone introduit dans la machine permet d'établir en une seule frappe une dizaine d'exemplaires d'un même document, même si ces exemplaires ne doivent pas tous recevoir toutes les inscriptions du document original"

Les modèles de machines à écrire sont maintenant très nombreux. La machine du type courant a été l'objet de cent améliorations. Les rouleaux porte-papier peuvent recevoir des papiers de tous formats. Des taquets de tabulation facilitent l'établissement des tableaux en colonnes. Certaines machines se démontent avec une grande aisance pour les nettoyages et menues réparations. Sur d'autres, les caractères sont montés sur barillets interchangeables et peuvent être instantanément remplacés par des caractères et signes de toutes grandeurs et de toutes formes. D'autres écrivent à plat sur feuilles volantes et livres reliés. Plusieurs sont silencieuses ou ne produisent que peu de bruit. Les machines peuvent recevoir des totalisateurs mobiles qui exécutent automatiquement l'addition, voire la soustraction des chiffres inscrits".

Certains modèles sont munis de moteurs électriques qui exécutent la frappe dès qu'une touche est effleurée. Les modèles légers et portables se sont beaucoup multipliés depuis quelques années".