L'impression

Pierre Berger. Vers 2004

Pour un utilisateur d'ordinateur, à partir du XXIeme siècle l'impression se résume au clic de la souris sur la case "Imrimer" du menu. C'est à peine si la difficulté et la matérialité du procédé se rappelle de temps en temps à son bon souvenir, par un message comme "l'imprimante n'a plus de papier", "la cartouche d'encre couleur est presque vide" et pire encore "bourrage". Cette simplicité est le terme, la fin d'une longue histoire, faite de mille détours, de mille inventions, les unes fondamentales (Gutenberg, impressio matricielle) les autres purement anecdotiques (photographie d'écran au début de la micro-informatique). Outre les historiens, ce long parcours peut encore intéresser les techniciens ou les utilisateurs spécialisés, car il marque encore les techniques actuelles, notamment dans leur vocabulaire (casse, fonte), leurs unités de mesure (pica) et ... la disposition actuelle des claviers.

De la grotte préhistorique à Gutenberg

Avant l'impression, il n'y a vait que l'écriture, la gravure ou la peinture, manuelles, d'un support suffisamment plat : pierre, tablette d'argile ou de cire, papyrus, parchemin, papier enfin.

La première technologie connue d'impression, c'est à dire de reproduction d'une forme sur un support, est, dans certaines grottes préhistoriques, c'est l'impression de la forme de la main trempée dans un colorant, ou l'obtention de son profil, en négatif, par projection de colorant en soufflant avec la bouche ou un chalumean.

Le deuxième technologie, c'est le sceau. D'abord marqué dans la pâte molle de l'argile ou de la cire, puis encré. Ce sceau peut prendre la forme d'un rouleau. Sa répétition, comme motif décoratif, peut servir à décorer des tissus. Mais il peut aussi, en s'agrandissant et en perfectionnant sa technique avec la gravure du bois puis du métal, se prêter à des compositions graphiques élaborées, permettant l'impression de l'image comme du texte. Et, dans une certaine mesure, de la couleur.

La rupture Gutenberg

Une grande révolution arrive avec Gutenberg, qui découpe les caractères (il n'est pas le premier à l'avoir fait, mais il a sensiblement perfectionné et fait connaître le procédé, ce qui justifie qu'il en soit devenu la figure emblématique). On les assemble ensuite pour réaliser une page, ou un ensemble de pages. C'est la typographie au plomb, qui est le coeur de ce qu'on appeller l'imprimerie pendant plus de trois siècles. (Voir le dictionnaire à l'article composition)

(Dans son "Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain", écrit en 1793, Condorcet consacre de longs paragraphes, un véritable hymne, à l'imprimerie). Sur ce site : le texte intégral de ces paragraphes.

Cette technologie ne change guère jusque vers la moitié du XIXeme siècle. A ce moment, la presse à bras, racontée encore par Balzac, commence à céder le pas à des machines motorisées. Mais, plus imporrant encore, la compostion manuelle à partir de caractèrs préfondus et rangés dans la casse cède la place à des procédés commandés à partir d'un clavier ou d'un automate. L'une de ces technolgoies vient s'insérer dans la chaîne typographique traditionnelle : les caractères sélectionnés à partir d'un clavier sont fondus individuellement (machines Monotype de Tobert Lanson, 1887) ou ligne par ligne (Linotype). Une autre fait entrer l'impression dans le domaine des systèmes d'information d'entreprise : c'est la tabulatrice (Voir notice ). La troisième, plus légère, trouve sa place dans les bureaux, qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers, c'est la machine à écrire Voir notice.

Quelques technologies secondaires

Sérigraphie et stencyl

La sérigraphie consiste à encrer le papier au travers d'un tissu de soie (étymologie du mot), ou d'un autre textile approprié, d'abord ciré, puis sélectivement débarassé de la cire par un procédé mécanique ou chimique. Le mot n'apparaît qu'en 1949 (selon le Robert historique), et se fera remarquer en mai 1968 comme technique de préparation d'affiches. Mais les bureaux se servent depuis l'avant-guerre d'une technologie analogue : le duplicateur à stencyl. Elle seront souvent désignée par deux noms de marque : Ronéo et Gestetner.

Le stencyl a l'avantage de pouvoir se préparer à la machine à écrire (application la plus fréquente), mais aussi manuellement, avec un stylet (eventuellement vibreur), pour faire des dessins. Il peut être corrigé par apport de cire diluée dans un solvant volatil.

Jusqu'aux années 70, du fait de sa facilité de mise en oeuvre et de son coût modéré, la duplication à stencyl sera la technique de base pour la création des circulaires, des "polycopiés" destinés aux étudiants et de la "littérature grise" dans les pays ne connaissant pas la liberté d'expression. Par la suite, la photocope et le traitement de texte la feront disparaître.

Duplication par encre soluble

D'autres techniques de duplication ont été utilisées, en particulier la dupliction à l'alcool (voire tout simplement à l'eau). Ici, on prépare un document original avec une encre soluble et le report se fait par simple contact. Soit sur la "presse à copier", soit par report intermédiaire sur une pâte humide, soit avec une petite machine rotative.

La presse à copier, attestée dès le début du XXe siècle (Larousse), était intéressante dans les bureaux comme instrument de preuve, en tous cas commerciale. Le document à reproduire est inséré dans un registre relié de feuilles de papier pelure numérotées et humectées. On obtient ausi une série de doubles, analogue à ce qui sera appelé plus tard, dans les secrétariats, le "chrono", c'est à dire la suite des documents ainsi préparés.

Dans les années 1930, des duplicateurs rotatifs sont mis au points (marque Ormig). Très facile à utiliser, permettant des documents colorés par l'emploi d'encres diverses, cette technologie a gardé un rôle dans les bureaux jusqu'au début des années 1970 et sans doute plus tard encore dans les écoles.

Le traceur (de courbes)

Depuis la fin du XIXe siècle au moins (attesté par le Larousse), existent des appareils enregistreurs pour différentes grandeurs, souvent différenciés de l'instrument de mesure par le suffixe -graphe (baromèter, barographe). Le principe consiste à placer un stylet encreur sur l'aiguille de mesure et à le déplacer sur un rouleu de papier entraîné par une horloge. Les passionnés de trains de plus de 60 ans se rappellent notamment de l'enregistreur Flament, qui formait l'une des plus belles pièces du poste de conduite des locomotives et trains de banlieue.

Généralisant ce principe, à partir des années 1960, des fournisseurs spécialisés proposent en sortie d'ordinateur des traceurs de courbe opérant soit à plat (table traçante) soit, plus souvent, sur un rouleau. Ces machines, intéressantes pour les laboratoires, bureaux d'étude et cabinets d'architecture ou d'urbanisme, sont digitalisés à partir des années 1980-90 et tendent à n'être plus qu'une variété d'imprimante. En 2003, des modèles haut de gamme sont cependant toujours commercialisés sous cette appellation.

La photographie

La photographie, dès ses origines, est une technologie d'impression. Non pas à partir d'une cliché mécaniquement gravé, mais à partir d'une couche sensible devenant plus ou moins foncée (voire colorée) après exposition à la lumière puis passage dans des bains de développement. Ses technologies sont restées pratiquemnet étrangères à l'informatique jusqu'aux années 1990, où la numérisation a commencé à conquérir progressivement toutes les phases du processus, depuis la prise de vues jusqu'à l'impression en passant par les phases intermédiaires de traitement (cadrage, retouche).

Rappelons que, pendant quelques années, l'affichage sur écran était en avance sur les technologies d'impression, en particulie pour la couleur. On a donc trouvé sur le marché des appareils photographiques spécialisés, ou simplemnet des accessoires ad hoc pour les appareils existants, destinés à la photographie des écrans.

La copie

La presse à copier et la duplication ne donnaient que des copies médiocres et ne s'appliquaient à qu'à des documents spécialement préparés. La photographie était relativement, avec ses phases successives, lourde, avec ses bains en chambre noire..

Pour des applications particulières, comme le tirage de plans, des technologies particuière (papier préparé et développé à l'ammoniaque) ont été mise au point (à partir des années 60 ; peut-être avant guerre).

A la fin des années 1960 appraît la thermocopie, procédé de reproduction facile à utiliser, grâce à un papier spécial. Le papier est assez coûteux, la qualité médiocre, la vitesse limitée.

Une solution performante apparaît enfin avec la xérographie. Très coûteuse au départ, son constructeur (Xerox) la propose en location. puis elle se démocratise. Avantage majeur : l'emploi du papier ordinaire, en feuilles au format standard (A4 pour l'essentiel).

Une technolgie concurrente, avec un papier à l'oxyde de zinc (ZnO, pour les initiés), prend une place importante sur le marché pendant toute la fin du XXe siècle.

Une version de travail à distance, le télécopieur, se diffuse largement à partir des années 1980. Il a deux ancêtres : le pantélégraphe de Caselli (1856, curiosité de musée) et le bélinographe, utilisé dans la presse pendant tout le milieu du XXeme siècle. Sous l'influence des Japonais (dont l'écriture idéographique s'accomode difficilement des messageries de l'époque), le télcopieur devient un produit de grande diffusion, même assez largement dans les ménages aisés

Mais, comme pour les autres technologies, la digitalisation et l'intégration finit par concurrencer le photocopieur et le télécopieur. en tant que machines séparées et distinctes du poste de travail équipe d'un PC, pourvu qu'il dispose d'un scanner et d'une imrimante (et assez souvent, en 2003, d'un pérphérique assurant à la fois les fonctions d'imprimante, de copieur et de télécopieur).

La rupture matricielle

Vers la fin des années 1970, un principe radicalement neuf fait son apparition : au lieu d'imprimer avec des caractères préformés, on imprime un ensemble de points qui en reconsituent la forme. Révolutionnaire dans son principe, cette technologie vient au monde dans des conditions modestes. Les premières machines sont des dispositifs "à aiguilles", pour les calculettes. La qualité est médiocre, taut du fait des graphismes minimaux indispensables à la lecture que par l'emploi de papiers spéciaux. En outre, les aiguilles font un bruit relativement léger, mais agaçant.

Au cours des années 80, l'imprimante à aiguilles devient le complément typique d'un ordinateur individuel. Elle travaille surtout sur du papier en paravents, entraîné par bandes Carroll. La résolution s'améliore un peu, donc le rendu des caractères en qualité et en variété de polices. On sait la commander en mode graphique, ce qui convient tout à fait à la mode conviviale et ludique amorcée par le Macintosh, avec son logiciel peintre, certes des plus rustiques, mais fascinat à l'époque avec sa facilité d'utilisation pour dessiner à la souris et, ô magie, colorier (ou plutôt, à l'époque, remplir de grisés et autres textures) les surfaces dessinées.

On raconte à l'époque l'histoire de ce papa qui, pour agacer sa petite fille, lui dit "Sais-tu s'il existe de la peinture écossaise". Et, à l'étonnement du père, la petite fille réponde "Mais, oui papa, sur l'ordinateur".

L'imprimante à aiguilles, de 1985 à 1995 environ, devient la reine des bureaux. Elle est toujours plus rapide et plus fine. Toujours relativement peu chère. Avec ses bandes Caroll, et ses liasses carbonées, elle peut reprendre des fonctions qui restaient jusque là l'apanage de machines plus grosses, pour la facturation ou la comptabilité, par exemple. Cependant, la résolution comme la qualité des noirs restent étroitement limités par la technologie même. En outre, elle n'est pas très rapide, bien que différentes astuces pallient cet inconvénient : modes d'impressin brouillon, parcours rapide la tête dans les zones blanches, fonctionnement alterné de gauche à droite et de droite à gauche pour éviter la perte de temps du retour à gauche...

Cependant, à partir de 1980 dans les grands sites informatisues, de 1990 dans les bureaux, elle se voit concurrencée par une autre technologie matricielle, certes plus chère, mais porteuse de débits et de qualité d'impression, le laser. En quelque sorte, c'est de la photocopie sans original, avec le même type d'effet et d'impression à base toner en poudre.

A peu près à la même époque, le jet d'encre fait son apparition, ce dernier relevant plutôt d'une transposition de la peinture au pistolet. Vers 1995, le jet d'encre fait figure de parent pauvre, économique mais limité plutôtl à l'informatique domestique. Par la suite, et encore en 2003, il devient un concurrent important sur le marché de l'informatique de bureau, et largement dominant sur le marché domestique, en raison notammet de ses remarquables aptitudes pour la couleur. En revanche, le laser garde toute sa place, semble-t-il, pour l'impression à très grand débit en aval des grands systèmes d'information massifs (banque, assurance, VPC).

Le jet d'encre a un avantage : il ne chauffe pas, et les buses peuvent rester à une distance relativement grande du support imprimé. D'où le succès de cette technologie pour les impressions sur les papiers épais ou structurés, sur les cartons, voire sur les emballages, qui peuvent défiler devant la buse d'impression quel que soit leur format.

Le jet d'encre peut aussi, avec des buses qui finisent par être de vrais pistolets à peinture, s'adapter à de très grands formats, pour la préparation d'affiches, de décors, etc. Dans ce cas, le support est présenté en rouleaux dont la longueur est indéfinie et la largeur peut atteindre plusieurs mètres.

Sous la double concurrence du jet d'encre et du laser, qui perfectionnent constamment leurs performances et réduisent leurs prix, les technologies à aiguilles se marginalisent. A partir de 1995 environ, elles se cantonnent aux applications qui valorisent leur capacité d'impression multiple (facturation, par exemple)

L'intégration physico-chimique par la gravure

A la fin du XXe siècle, l'impression par caractères séparés relève désormais des musées. L'imprimerie nationale, en France, détient par exemple une impressionnante collection de "coins" destinés autrefois à la fonte des caractères en plomb.

Mais, pendant ce temps, la "révolution Gutenberg" n'a pas disparaitre l'impression par cliché unique. Bien au contraire. Certes, jusqu'aux années 1930, la typographie est reine, et cantonne aux images les différentes techniques de gravure, qui d'ailleurs se perfectionnent et se multiplient : sur bois, sur cuivre, et même sur pierre (lithographique). Caractères séparés et clichés d'image se retrouvent dans certains ouvrages. Soit par préparation manuelle de clichés de format normalisé, susceptibles de prendre place sur la presse aux côtés des caractères. Soit par la grâce du relieur, qui complète les pages typographiques par des gravures "hors texte".

Mais les caractères ainsi assemblés sont lourds, ne se prêtent pas aux gros tirage, qui ne peut se faire qu'à plat. La presse, pour ses rotatives, invente au XIXe siècle un moulage intermédiaire : le flan est pressé sur les caractères de plomb, puis courbé dans un moule pour fournir un cliché le cliché cylindrique qui servira aux rotatives.

On va plus loin avec la photogravure. Tout d'abord elle permet de fabriquer des clichés "typo" à partir des images. C'est la "simili", au grain accusé d'abord, puis affiné. Puis on a l'idée de reporter l'image des caractères eux-mêmes, par photogravure, sur la même plaque que les images (et pourquoi pas sans images). Ce sont, dans les années 30, les deux procédés concurrents de l'offset et de l'héliogravure. Le premier moins cher, le deuxième plus beau (plus fin, et aux contrastes puissants).

Le caractère en plomb finit par disparaître complètement avec la photocomposition (notamment en 1955 chez Monotype), qui fournit directement des films. Dans un premier temps, la photocomposeuse travaille comme la linotype ou la monotype ; les polices de caractères deviennent des images photographiques de caractères. Ainsi, l'impressionn se décompose-t-elle en deux phases : la première prépare et assemble, par différents moyens, des clichés photographiques, qui sont ensuite montés, gravés sur plaques et imprimés globalement.

L'intégration par la digitalisation et le logiciel

La fin du XXe siècle va voir l'intégration aller plus loin encore, par une digitalisation de toute la chaîne graphique, depuis les photographes et les rédacteurs jusqu'aux presses elles-mêmes. Prise d'image, traitement de texte, photocomposition, montage, gravure finale, tout s'enchaîne et devient affaire de logiciel. Jusqu'au moment final de l'impression, les documents ne sont plus que des fichiers, que l'on peut élaborer, corriger, monter... jusqu'à l'envoi à l'imprimante. Celle-ci peut aussi bien êter un modèle de bureau, à portée de main du créateur, aussi bien qu'une rotative située chez un imprimeur, le plus souvent déconcentré hors des centre-villes et en des lieux choisis pour leur logistique ou la qualité de leur bassin d'emploi. Imprimer, désormais, rien de plus simple ... cliquez !

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