1951-1960. Les héros des nouveaux espaces
On est à peine sorti d'une guerre que l'on entre dans des guerres. Guerre froide. Indochine, Algérie. Un bureau typique, celui où j'arriverai en 1961, mais qui n'avait presque pas changé depuis l'avant-guerre. Noter :
. Il n'y a ni téléphone, ni machine à calculer sur le bureau. Une machine à écrire, tout de même électrique et... les tampons.
L'économie se redresse et permet de reprendre les grands projets d'avant-guerre : la 2Cv, la télévision... la mécanographie.
Mais on change d'espaces.
. L'Europe décolonise, l'Amérique se garde bien, cette fois, de se replier sur elle-même.
. Le Spoutnik ajoute une nouvelle dimension l'espace terrestre
. La vulgarisation des "mathématiques modernes" ajoutent de nouvelles dimensions à l'espace euclidien tel qu'il était encore enseigné dans toutes les écoles, même "grandes".
. Du haut de ces orbites, les visionnaires ne manquent pas, de Wiener avec la cybernétique à Asimov, avec ses robots, ou Forrester, qui invente à la fois la mémoire à tores de ferrite et l'analyse de système.
Dans les entreprises et les administrations, les systèmes d'information se voient pénétrer, doucement et indisidieusement encore pendant cette décennie, par un virus qui va tout envahir : la logique digitale soutenie par sa complice matérielle, l'électronique.
Au niveau "fonctionnel", les organisateurs introduisent dans leurs schémas de nouveaux symbolismes, inspirés des mathématique, même s'ils restent encore très liés aux processus classiques de la carte perforée.
Au niveau organique, dans les ateliers mécanographiques, toutes les machines, surtout les "grosses", c'est à dire essentiellement les tabulatrices, n'ont plus grand chose à voir avec celles des années 30. La totalisatrice-imprimante rudimentaire d'hier s'est habillée d'un volumineux carter. Elle effectue des calculs de plus en plus élaborés, permis par le remplacement des tableaux de connexion mécanique par des tableaux électriques. En outre, elle s'est annexée une perforatrice de cartes, ce qui lui permet d'échanger des informations dans les deux sens avec les autres machines.
Dans les ateliers, on voit aussi des "calculatrices", qui servent essentiellement aux multiplications et divisions, et complètent le travail des tabulatrices, plus orientées vers les addition et soustractions. L'ensemble de ces machines commence à constituer un réseau, un "ensemble électronique". Le système mis en place à la Caisse d'épargne de Paris en donne un bon exemple (Bulletin de la mécanographie, septembre 1960).
A ce niveau matériel de l'atelier, le passage à l'ordinateur pourrait presque être considéré comme une évolution continue que comme une révolution.
Noter que les grands ateliers laissent toujours toute leur place à une multitude machines isolées. D'abord tout le parc des anciennes machines, ensuite de nouveaux modèles, tirant parti des nouvelles technologies. Les machines à écrire deviennent électriques (meilleure qualité de frappe, emploi plus facile et moins fatigant). Citons aussi les duplicateurs, les "imprimeries intégrées", les duplicateurs à alcool (avec des versions très sophistiquées), et bien entendu les calculatrices mécaniques de bureau qui se multiplient.
La coopération entre machines et entre sites se développe, la communication passant par les cartes perforées ou par le ruban perforé hérité du Télex. C'est le cas par exemple de a Dura Mach 10, "machine rapide, compacte, élégante et silencieuse, assure la rédaction automatique des documents usuels, la saisie des informations dès leur naissance et la transmission immédiate des donénes vers le centre de traitement. "
Dans certains cas, on pourrait presque avoir comme un avant-goût du client-serveur. Le téléphone reste une denrée rare et chère. Il n'est donc pas question de l'utiliser pour transmettre des données. En tous cas en France, où il srea longtemps considéré comme un produit de luxe. Cependant la communication par support perforé s'effectue à sens unique des petites machines vers les grandes. La diffusion de l'information du centre vers la périphérie passant par les listings papier. On voit de telles réalisations aussi bien à la SNCF (pour la paye) qu'à la Foncière Transports (pour la souscription des polices et l'enregistrement des sinistres).
Parmi les innnovateurs héroïques de l'époque, il faut citer le Crédit Lyonnais, dont a notamment parlé Jacques Vanrenterghem (Inspection générale du CL) à un colloque du Cnam en avril 1990 :"Les premiers ordinateurs au Crédit Lyonnais".
. Un Gamma Tambour de Bull fut utilisé en 1957, suvi d'autres machines Bull (1958) et d'un IBM 650 à bandes magnétiques (1959/1960).
. Mais une expérience plus originale fut lancée : la collaboration de M. Dupin de Saint-Cyr (DSI du CL) avec F.H. Raymond (SEA), qui aboutit à la construction, la mise au point et l'utilisation des SEA 3000 puis 4000. 17 machines seront livrées de 1960 à 1967. La dernière cessera de fonctionner en 1977.
Application: tenue des comptes de la clientèle.
"Dans les agences, les comptes seraient tenus sur des machines comptables à perforateur de ruban... Ainsi la "position des comptes" serait connue pour renseigner le client au guichet ou pour prendre les décisions de gestion au niveau local. Chaque soir, les galettes de ruban, enlevées des machines, seraient transmises par poste au CAR (centre administratif régional), montées sur les lecteurs rapides et "dépouillées", c'est à dire lues, contrôlées et enregistrées sur bande magnétique. Des ajustements comptables permettraient de s'assurer que rien ne se perdrait et rien ne se créerait.
Puis viendraient les tris, les interclassements, la production d'extraits de comptes (après rapprochement avec un fichie comportant les noms et les adresses, mis à jour régulièremnet) et enfin les calculs périodiques d'intérêts. "
On voit à quel point l'informatique de gestion à bandes est encore bien proche de la mécanographie à cartes ! Pourtant, une nouvelle ère va commencer, déjà amorcée chez un pionnier comme Georges Tattevin, au Groupe Drouot.