Jacques Perconte : successive impressions
Première impression
Participant à ce vernissage (Galerie Charlot, février 2012) après un exposé de Vincent Boyer au Paris ACM Siggraph sur le rendu expressif et ses difficultés quand on l'applique à la vidéo, notre première impression était le plaisir de voir enfin ces techniques appliquées par des artistes, malgré les problèmes qu'elles posent.
En fait, nous a expliqué Jacques Perconte, son approche n'a rien d'algorithmique. Cet artiste ne se pose pas en informaticien, mais en vidéaste utilisateur des outils habituels de traitement de la vidéo et notamment de ses fonctions de compression/décompression.
Ces jeux lui permettent de modifer les images en profondeur, d'en combiner plusieurs ou de combiner leurs parties et d'obtenir des effets parfois très ""jolis"", avec leur fortes saturations, leurs effet de ""touche impressioniste"", l'évolution progressive d'images plutôt sages vers le chaos et réciproquement. Quant à la présentation, le recours aux tablettes numériques lui permet en outre de proposer ses oeuvres comme des peintures de petit format, assez minces pour se pendre au mur comme une gravure, tout en conservant leur dynamique. Ce type de matérialisation convient évidemment mieux aux contraites de matérialité qu'impose le marché traditionnel de l'art.
Dans un deuxième temps, ce sont les limites de ce procédé qui interpellent le critique au tempérament algorithmique. Tantôt le traitement reste assez limité, et l'on se dit qu'une simple pixélisation ferait l'affaire, complétée par unrenforcement des saturations. Dans ce cas, les effets de scintillement (flickering), fréquents dns le NPR appliqués à la vidéo apparaissent moins comme un défaut que comme une stylisation des effets temporels, l'apport d'une vibration comparable à celles qu'ont travaillée les impressionistes. Ils évoquent aussi les transformations d'image proposées par Daniel Rozin avec ses ""miroirs"". Plaisant, donc, mais un peu court en ambitions.
Symétriquement, dès que les mouvements se font plus complexes, la jubilation des effets graphiques, certes audacieux, est un peu gâchée par des effets de bruit ~#dont l'effet ""artistique"" ne semble ni certain ni vraiment voulu. En particulier, apparaisssent des zones quasi rectangulaires, parfois assez grandes, qui brisent l'unité et l'harmonie de l'image globale. Ambitieux, certes, mais un peu froissant pour une rétine sensible.
L'algoriste se dit alors qu'il devrait être possible de conserver la puissance expressive de Jacque Perconte mais d'en pallier les défauts et de la prolonger dans des effets plus consciemment voulus, en passant d'une manipulation empirique des compressions/décompressions à un travail explicitement algorithmique, pour obtenir méthodiquement des effets encore plus variés, puissants, et moins pollués par ce qu'on pourrait appeler du ""bruit de calcul"".
Mais une telle analyse est peut-être trop prétentieuse. Et en tous cas, elle ne doit pas gâcher le plaisir devant les oeuvres les plus réussies, par exemple la lente promenade en barque sous les frondaisons de la forêt landaise. Les effets de pixélisation, de scintillement et de jeu sur les contrastes et les saturations se laissent ici pleinement apprécier. De même, on se laisse avec plaisir emporter dans le déconcertant et indéfini voyage sur une voie ferrée qui émerge sans fin, toujours renouvelée, d'un paysage savoureusement chaotique.
Deuxième impression
Jacques Perconte n'a pas apprécié notre ""première impression"", qu'il estime fausse et, à la limite, injurieuse. Mais il n'a pas non plus souhaité (ou pu trouver le temps) de rédiger un droit de réponse. De notre côté, nous avons poursuivi notre réflexion sur ce travail, relu les textes fournis par la galerie Charlot et nous sommes retournés voir les oeuvres exposées dans cette galerie (jusqu'au 24 mars 2012).
Sur les textes fournis, laisser écrire à propos de soi-même ""Rien de la machine ne lui est étranger"" manque pour le moins de modestie. Certes, il ne faut pas le séparer de son contexte : il s'agit d'une notice de Nicole Brenez (historiennne du cinéma et chargée de la conservation du cinéma d'avant-garde à la cinémathèque française voir Wikipedia). Elle poursuit, plus techniquement ""Jacques Perconte sait pousser celle-ci à ses limites, penser à partir de ses insuffisances, créer en fonction de ses erreurs. La machinerie informatique pour lui n'est pas fidèle au monde en ce qu'elle serait capable d'en enregistrer et traiter les apparences, mais parce qu'elle peut en dégager des vibrations, en particulier chromatiques, non pas mimétiques, mais analogues aux vibrations du réel. Autour d'une vingtaine de films, de plusieurs expositions monographiques, il déclare ""Je ne cherche pas, je m'aventure."" "".
A les revoir dans cet esprit, et à tête plus reposée que le jour d'un vernissage, il faut avouer qu'on se laisse prendre à ces jeux, surtout dans une pièce particulièrement aboutie, le film Après le feu, (2010) un parcours en quelques minutes dans le petit train qui va de Corte à Ajaccio. Musique d'Arnaud Castagné (qui était remplacée, à la galerie, par une musique plus calme, mieux assortie aux autres présentations). Vibrations, certes. Le scintillement, considéré comme un défaut typique du rendu expressif (voir ""première impression"") est constant et fatigant. L'oeil finit par s'y faire. Entre temps, d'ailleurs, j'avais écouté le Sacre du Printemps de Stravinski (1913) et lu le compte-rendu qu'en donne Jonah Lehrer dans son Proust était un neuroscientifique (Laffont 2007).
C'est un peu le même genre de provocation. On la cherche et on espère le plaisir par l'exploitation d'un défaut par rapport aux canons en cours : dissonance pour Stravinscky, scintillement pour Perconte. L'oeil s'y fait, comme l'oreille. Avec un peu d'effort, on finit par s'y habituer. Au cinquième passage du film, le plaisir domine. Comme Stravinsky trouva les applaudissements, plusieurs concerts après le tumulte scandalisé du premier. Par contre-coup, on doit refaire effort pour ne pas s'ennuyer à écouter Mozart ou à regarder Luc Besson.
Reste que, pour certaines images, par exemple les films de Perconte où les vagues se brisent sur les rochers, on pourait souhaiter que soient corrigés des défauts qui gênent le plaisir, même après de persévérants efforts. Mais, avec lui comme avec les artistes en général, le dialogue ne peut s'établir. Dans la logique sacralisante de l'art qui domine aujourd'hui, le ""projet artistique"" est un monolithe que seul l'auteur peut se permettre de contester, et seulement dans le secret de son atelier. Le public et le critique n'ont d'autres droits et devoirs que d'admirer ou d'avouer leur incompétence. L'artiste ne doit suivre que son inspiration : s'intéresser à son public et à ce qu'il en pense relève d'une forme de prostitution, d'un abandon aux jeux du ""mainstream"", du populaire.
Est-il possible de dépasser cette radicale opposition ? Peut-être que non, fondamentalement. La création naît quelque part à mi-chemin entre l'ordre et le chaos. On peut y tendre en partant de l'ordre, comme les Grecs ont cherché par exemle la perfection de l'ordre dorique par de progressives mises au point quantitatives, de temple en temple, depuis le proto-dorique égyptien jusqu'à l'Acropole. Ou Bach en tempérant son clavecin et structurant ses fugues. Au contraire, on peut partir du chaos voire de la destruction (l'art viral d'un Nechtaval, les pianos bricolés d'un Cage, les négations radicales d'un Marcel Duchamp). Ce qui se passe entre les deux reste mystérieux, comme nous le constatons dans les efforts pour construire une théorie esthétique inspirée de la vie (voir nos notes sur le chapeau pointu de la complexité). Certains conclueront que mystère et création sont inséparables. Pour nous, la question reste ouverte.