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bouquins

Le livre menacé mais réactif

(Note provisoire, au début de 2012).

De plus en plus de livres d'occasion, voire bradés ou laissés pour rien. Ici ""Le bouquiniste au tabouret"", photo primée par l'AACCEAde Saclay. La menace digitale pour le papier On peut bien se rassurer en expliquant les charmes du livre, le caractère irremplaçable de la relation main-papier. On peut vanter ses mérites en riant (reprenant une histoire qui courait les milieux informatiques des années 1960) ... les jours du livre et de la presse papier semblent tout de même de plus en plus comptés. Une des grosses supériorités du livre, la qualité de son contrastes noir/blanc pour le texte ou la beauté de ses images est maintenant vraimen battue en brêche, sinon dépassée par les tablettes (alors que les ""liseuses"" sont encore plutôt grisounettes).

D'un autre côté, les logements sont de plus en plus petits et de plus en plus rares les gens qui peuent consacrer de grands espaces à une bibliothèque.

Le processus même de diffusion de pensée par le papier donne souvent une impression d'immense gâchis. Gâchis écologique de la consommation de papier, dont même le recyclage n'est pas sans coût. Mais plus encore gâchis d'efforts rédactionnels. Nombre de textes et d'images de valeur paraissent dans des revues à diffusion limitée, et ne peuvent donc atteindre qu'une faible partie du public qu'ils pourraient intéresser. Nous pensons par exemple au volet ""cultures numériques"" de numéro de Sciences Humaines (mars-avril-mai 2012), et que nous n'avons découvert qu'au hasard d'un passage dans les rayons d'une Maison de la presse.

Les libraires se plaignent, pour le neuf comme pour les ""bouquinistes"". On trouve de plus en plus de livres soldés à un ou deux euros (chapine Book Off) par exemple, et même, à l'occasion d'une rencontre ou d'un forum local, un espace où chacun peut amener ses livres sans rémunération et emporter ceux qu'il veut. Des brasseries comme le Père Tranquille (sur le forum des halles) laissent des rayonnages entiers de livres à la disposition des consommateurs, dont une partie au moins doit en emporter quelques uns.

TSI

La publication sur papier par un éditeur connu ou une revue de haut niveau apporte la garantie d'une relecture, parfois sévère, par un comité de rédaction. Ici, une partie du comité de la revue TSI, vers 1982.

Globalement, le livre découle d'un processus long, contraignant et coûteux. Auteurs et lecteurs sont donc de plus en plus conduits à le court-circuiter. Pour autant, nous sommes nous-mêmes en train de publier un livre sur l'art génératif, et les achats chez les libraires comme chez les bouquinistes est presque une dépendance compulsive. Pourquoi ? Pour deux raisons, qui devraient disparaître à terme, mais resteront valables encore quelques années :
- le fait qu'un éditeur ait pris le risque financier d'éditer un livre est une sorte de garantie d'intérêt et de qualité ; ce point est important pour tout auteur qui aime naturellement à dilater son ego ; et a fortiori pour les universitaires, qui sont en bonne partie notés sur leurs publications ; de plus, il est plus facile et plus sûr, dans une bibliographie, de citer un livre qu'une page web;
- dans quelques années, tous les livres auront probablement été numérisés et seront accessibles en ligne ; d'ici là, une visite aux libraires et aux bouquinistes est une forme de chasse au trésor qui s'avère souvent payante.

Notre article ""livre"" comporte nombre de références sur le sujet. Mais il semble bien que la messe sera bientôt dite, le livre ne gardant que des niches de plus en plus restreintes. Dans son roman (papier), Super triste histoire d'amour, Gary Shteyngart voit le livre devenu totalement marginal, ""puant"" pour les gens ordinaires. Le papier contre-attaque Cependant, nombre de signes plaident en sens inverse :

barnes

Barnes Noble CEO William Lynch, directeur général de Barnes & Noble, a présenté sa tablette Nook en novembre 2011. Un grand libraire investit dans le livre électronique ! (Selon Nookvskindle.)

- Les sites web sont des aides puissantes à la vente des livres. Pour les livres récents et plus encore pour les livres anciens et épuisés. Etant donné le nombre des titres et la dispersion de leurs détenteurs, le bouquiniste en boutique ne peut que très partiellement réponde aux besoins. D'où la généralisation des sites web, remplaçant les classiques catalogues périodiques des grands libraire d'ancien. Dans ce cas, les frais de port peuvent dépasser de loin le prix de l'ouvrage, surtout si l'acheteur est pressé. Nous avons pu récemment acquérir un exemplaire de ""Robots and Changelings"", série de nouvelles américaines des années 1950, disparues des rayons des librairies depuis un demi-siècle. Nous n'avions pu le relire qu'en passant dans une bibilothèque municipale à Dallas. Et encore, le bibliothécaire, méfiant à l'égard de cette demande bizarre, avait exigé une pièce d'identité pour nous le confier en consultation.

- De même, les sites web aident à vendre les revues papier, par exemple celui de Sciences Humaines n'est qu'un site de vente des éditions papier. Du moins permet-il, à travers Google par exemple, de savoir que ces articles existent. On peut faire des remarques analogues pour le livre.

- Plus convaincant encore, quelques entrepreneurs, et non des moindres, jouent encore la carte du papier : . Un libraire entreprenants comme Guillaume Decitre, à Lyon, s'inspire de la châine Barnes & Noble de New York pour combiner papier électronique sur une grande surface de 1000 mètres carrés. (Le fait est signalé par Alain Beuve-Méry dans Le Monde du 5/4/2012). . Chris Hughes, un des fondateurs de Facebook, vient de racheter le magazine papier The New Republic (Le Magazine du Monde, 31/3/2012).

- Enfin, depuis 2005 environ, de plus en plus de sites proposent des impressions de journaux ou de livres à partir de documents électroniques. ""Devenez éditeur de presse"", propose par esemple Olivier Zilbertin (Le Monde 8-9 avril 2012), citant notamment Madmagz . Son article est suivi d'une note sur les tablettes et la diversité de leurs contenus. Un artiste comme Hugo Verlinde fait imprimer à la demande, pour un prix modeste, un ouvrage de 38 pages sur papier couché tout en couleurs de qualité.

- Paru en mars 2012, l'ouvrage Photographes, publiez votre livre photo ! par Darius D. Himes et Marie Virginia Swanson. Eyrolles 2012. (original américain 2011).

- D'un entretien avec un bouquiniste (près du 104 à Paris) : ""On peut gagner sa vie en vendant les livre sur Internet. Mais cela veut dire qu'on passe des heures tous les jours seul avec son écran. Et moi, ce qui m'intéresse, c'est le contact avec le client, la conversation"".

- Le ""quick book"" est une réponse du papier : des ouvrages, liés à un événément (politique notamment) et réalisés en quelques jours. Voir par exemple Le Figaro, flash-eco du 7 mai 2012. Ou un article du Monde (14/5/2012) signalant la parution de six quick books : ""Ces titres, imprimés rapidement, sont des esquisses des derniers jours du président battu ou des ébauches de portraits du député de Corrèze en chef de l'Etat".

Alexandrie

La bibliothèque dAlexandrie, symbole de la fragilité du papier, du parchemin et du papyrus, symbole de la fragilité des supports matériels. (Reconstituion sur le site de Clio la Muse. Vers une inversion des rôles, un ""platonisme digital"" ? Permettons-nous une once de philosophie. Ne sommes-nous pas en train de voir une transposition de la caverne platonicienne. Pour Platon, ce que nous voyons, et a fortiori les oeuvres d'art matérielle, ne sont que l'ombre de réalités qui ont une existence immatérielle dans l'autre monde. Puis le Web est apparu comme une image, plus imparfaite (numérisation, pixelisation) encore des oeuvres d'art, les écrits d'abord, les images ensuite. De plue en plus, les oeuvres originales naissent sur le web, et les oeuvres matérielles (livres, photographies sur papier, sculptures en impression 3D) ne viennent qu'ensuite. Elles ne sont qu'une sorte d'incarnation du monde numérique, rendue nécessaire par la disposiion de nos sens sinon l'organisation de nos marchés. Le numérique était hier image virtuelle du monde réel... mais devient aujourd'hui le monde réel.

Le numérique bénéficie en effet sur les oeuvres matérielles d'avantages substantiels : copie pratiquement sans erreur, transmission pratiquement instantanée, coûts très bas. Il en découle une nouvelle forme de pérennité, basée sur les copies multiples. Au moment de l'incendie du Crédit Lyonnais en mai 1996, aucune donnée informatisée n'a été perdue. Quant au 11 septembre à New-York, un informaticien d'une grand banque française nous confiait presque avec gène : ""Nous avons perdu 150 collaborateurs dans l'attentat, mais pas de données"". Quant à nous, certains de nos fichiers remontent au début des années 1990, et sont toujours lisibles malgré d'innombrables recopies d'un ordinateur à l'autre et d'un logiciel à l'autre pendant vingt ans.

Ici, comme pour l'acheiropoièse des images, chère à Stéphane Trois-Carrés, la matérialité légère du digital a pris la place du monde surnaturel d'autrefois. Editeurs et libraires entrent peu à peu dans cette mutation qui laissera certainement une place, mais laquelle, aux supports matériels et au papier en particulier.