Le réseau des décisions humaines
Esquisse d'une réponse à la question finale posée par le livre d'Abiteboul et Dowek : "... Homo sapiens... un outil qui rend possible la construcion d'un monde meilleur... s'il le choisit".
(Précaution oratoire: nous utiliserons indifférement le mot décision à propos d'animaux (notamment d'êtres humains) et de machines, car les processus formels peuvent se décrire de la même façon. Mais sans pour autant considérer que les animaux se réduisent à des processus formels.
Chaque humain prend des décisions à un rythme élevé. Disons, pour faire image toutes les minutes. Si nous posons que chaque décision est binaire, l'humanité produit environ 100 millions de bits par seconde. C'est beaucoup, mais ce n'est pas incompatible avec le monde du big data.
La question posée par Abiteboul/Dowek peut se reformuler : comment transformer ces cent milllions de bits en une volonté de construire un monde meilleur ?
Quantité d'information d'une décision
La décision élémentaire est d'un bit. Typiquement, le bulletin à un référendum, le mariage, l'acceptation ou le refus d'une offre commerciale, l'appui sur un bouton marche-arrêt (fût-ce le déclanchement de la guerre nucléaire...).
Souvent, ce bit sera assorti de bits de modalité (abstention, vote blanc).
Un humain ne peut pas prendre des décisions de beaucoup de bits. Mais il peut prendre une succession de décisions binaires.
Exemples de décisons binaires: Baravagata, To be or not to be,
En général, une décision comprend plusieurs bits. Au premier tour de l'élection présidentielle française, en 2017, il y a 11 candidats. Elle correspond donc à 4 bits (il y a une marge, qui permet de coder aussi le vote blanc, les bulletins nuls et les abstentions).
Une décision peut-elle, dans certains cas, être considérée comme analogique, et non réductible à une suite de bits? J'ai tendance à ne pas le penser, mais cela pourrait se discuter. On pourrait parler, chez les animaux par exemple d'une sorte de stade "prédécisionnel", ou "instinctif", où la décision ne peut se décliner en bits parce qu'elle part de facteurs analogiques et débouche sur une expression analogique (mouvement, expression faciale).
En descendant plus bas dans l'échelle des êtres, on pourrait dire qu'une pierre "décide" de son mouvement et de ses évoluions en température en "appliquant" les lois de Newton et autres Carnot.
Mais si l'on dépasse les expression formelles de la décision (nombre de bits, de caractères alphabétiques ou pixels...), où l'on peut compter les bits, la quantité d'information portée (par un bit ou un ensemble) n'est égale au nombre de bits que si les deux valeurs O/1 sont de probabilité égale, ce qui évidemment est loin d'être le cas.
Liberté: l'amont des décisons
Tous les décisions n'ont pas la même portée, les mêmes conséquences. Il y a des décisions majeures, et assez rares dans la vie : choix d"un métier, mariage, acquisition immobilière, vote aux élections majeures. D'autres minimes, comme de choisir la place de gauche ou de droite en montant dans le métro, ou Comté contre Emmenthal au supermarché.
La liberté d'une décision (équivalents formels : imprésibilité, autonomie, néguentropie) peut être considérée comme découlant d'un processus amont, qui fait peu à peu converger l'ensemble des informations disponibles vers le choix final.
Le nombre de sources d'information pour une décision est comparable au "fan in" d'un cicrcuit électronique (see Quora for instance).
Conséquences: l'aval des décisions
Chaque décision peut avoir des conséquendes extrêment locales ou absolument globales (potentiellement, aux limites de l'univers).
Certaines décisions touchent directement ou presque des effets matériels. Notamment l'appui sur un interrupteur électrique. D'autres ont seulement des effets informationnels... Pas nécessairement sans importance, certes.
Le nombre d'entités affectées par une décision est comparable au "fan out" d'un circuit électronique (see Quora for instance).
Au fil des siècles, l'ensemble des décisions prises constitue un ensemble énorme. Rien que les processus électoraux en France font l'objet de gros livres en petits caractères que l'on doit faire figurer à côté des urnes. Listons quelques grands corpus:
- constitutions nationales, codes civil, pénal ...
- jurisprudence
- règles des jeux, notamment sportifs (plusieurs milliers de pages pour le football)
Mais l'ensemble des décisions s'inscrit aussi dans la matièure :
- patrimoine industriel
- territoire aménagé (routes, digues, fleuves régularisés...)
L'appel eà l'universalisme
Les grands empires (y compris le colonialisme, mais aussi les empires industriesl) , les grandes religions, la science
Les droits de l'homme
Il est aussi vieux que l'humanité.
Problèmes de communication. Problèmes de langage (Babel)
Le principe de subsidiarité
L'utilité de son application peut se mesurer. Voir par exemple l'optimisation des systèmes distribués dans Internet.
Tous ces bits n'ont pas la même "liberté" (équiprobabilité). Ils dépendent tous plus ou moins de l'environnement, de l'état d'esprit, et de déterminismes intérieurs plus ou moins inconscients (La Rochefoucauld).
Plus les décisions sont importantes, plus elles s'accompagnent (normalement) d'un processus d'acquisition d'information et de réflexion, dont les campagnes électorales sont l'exemple type.
Différents canaux d'agrégation
Ces décisions prennent leur sens par des processus de synthèse. Aux niveau global, les deux principaux sont l'économique et le politique.
En économie, la synthèse se fait d'abord par unités monétaires. Le commerçant fait le compte de sa boutique pour la journée. Sa banque fait le compte de l'ensemble de ses clients. Les banques centrales font le compte au niveau national. Et quelques organismes internationaux font les comptes au niveau mondial.
Plus les systèmes d'information des entreprises se développent, plus l'analyse des ventes s'affine en fonction des produits, des lieux et des moments de vente, des catégories de clientèle, voire de chaque client. Si l'on admet qu'une décision d'achat est prise dix fois par jour, cela fait 75 Gbits par jour, soit 10 mégabits/seconde. (C'est trèso simpliste, une décision d'achat, c'est plusieurs bits).
En politique, la synthèse se fait, au moins dans les pays démocratiques, par le décompte des votes, qui peuvent être assez fréquents (votations suisses) ou inexistants (dictatures). Si l'on admet qu'il y a un vote par an, cela fait 2000 bits par seconde.
On voit d'emblée que la décision politique a beaucoup moins de poids que la décision économique.
Mais aussi bien le politique que l'économique ont d'autres moyens d'agrégation que les décisions explicites, notamment les sondages et les études de marché.
Différentes techniques d'agrégation des décisions
L'addition naturelle
Le réchauffement climatique agrège les décisions des hommes en matière de consommation énergétique et de consommation de CO2. e
Mode analogiques
Dans les années 1970 (je n'ai pas pu retrouver la référence, je cite de mémoire), IBM a proposé un outil analogique de prise de décision d'un comité. Chaque membre recevait un boitier muni de deux potentiomètres, l'un pour la gamme continue de pour à contre, l'autre pour l'auto-évaluation de compétence sur le sujet (depuis "ne sais pas" jusqu'à "expert", pour faire image). Le système faisait le total de chaque série de potentiomètres, et en déduisait le résultat (pour ou contre) et le degré de compétence global. On peut citer aussi l'applaudimètre, le vote par acclamation.
Addition numérique et algorithmes
Les simples totalisation (votes, addition des montants monétaires) sont complétées par toutes sortes de techniques d'analyses de données.
Dans tous les cas, il y a une forme d'induction, ou de généralisation. A partir d'un nombre fini de données, on déduit des assertions générales sur certaines catégories de décisions. Cela permet, en particulier, de faire des prévisions. C'est tout le domaine des statistiques.
Modes composés
Les neurones biologiques combinent des données binaires (impulsions) et des données analogiques (totalisation de séries d'impulsion sur un axone (à vérifier), totalisation des différentes entrées et finalement décision de "tirer", basée sur des taux de concentration chimique (tout cela à préciser).
Les neurones informatiques sont techologiquement binaires, puisqu'ils utilisent des calculateurs numériques, mais "sémantiquement" analogiques, dans la mesure où ils appliquent à leurs entrées et de sorties des fonctions (notamment sigmoïdes) qui doivent être continues pour êter différentiables et permettre ainsi l'apprentissage par rétropropagation.
L'ensemble de la physiologie humaine est un énorme système d'agrégation des perceptions, avec des niveaux intermédiaires de décision (réflexes), des décisions inconscientet et un nombre limité de décisions vraiment "voulues", qui seront appliquées à tout le corps.
Exemple d'une globalisation: les transports automobiles. Modèle ancien, chacun condut sa voiture comme il l'entend, et s'il arrive des encombrements, il prend patience;
Modèle futur : l'ensemble des demandes de transport automobile (d'une région) sont centralisées et un système central de planification répartit le parc et les voies de circulation de mankère optimale.
Paradoxe: la voiture autonome n'est plus autonome du tout, sauf au niveau strictement local (subsidiarité).
Les institutions d'agrégation
Entreprises
Partis, syndicat, ONG
Pouvoirs publics. De la commune à l'ONU, ISO
Jurisprudence, techniques d'agglomération.
Induction (généralisation) et déduction
L'induction permet de remplacer un vaste ensemble de données par une loi brève. Ce serait plutôt un processus amont.
La déduction permet le développement des lois et leur application. En simplifiant beaucoup, un juge ne fait que des syllogismes.
Conséquencest et portée d'une décision
Les décisions n'ont pas toutes la même importance.
La tendance à la concentration des pouvoirs
Le Gafa, les Etats
Explications par les communications (ex. du chemin de fer en région Rhone-Alpes autour de 1900)
Concentration des machines (Mumford, Sismondi), des super-plateforms (Gafa, Uber, Airbnb..)
Concentration des puissants (Superhubs)
Concentration des pouvoirs (dictature)
Les limites de la décision collective d'Homo Sapiens
Un certain nombre de limites tiennent à des caractéristiques quantitatives, dont certaines peuvent être contournées. Citons
- capacité humaine d'écoute et de réflexion (dans le temps, dans les volumes de données, dans l'abstraction)
- temps de communication entre humains (ce point a été essentiel pour bloquer les universalismes jusqu'à l'arrivée du télégraphe (pour faire image).
Mais il y a des "indécidables" fondamentaux, dont le théorème de Gödel est le modèle, appriqué aux mathématiques. Ces indécidables sont basés sur l'application du langage à lui-même (diagonalisation, récursion).
1. Qu'est-ce que qu'un homo sapiens ? Ou si l'on préfère : qui est un homo sapiens. Les limites ne sont pas claires:
- à la conception : à partir de quel âge 'un embryon doit être respecté comme un humain
- à la majorité : à quel âge devient on citoyen ?
- (jusqu'aux années 1960): les femmes sont-elles des humains à part entière ?
- en fin de vie : quand est-on vraiment mort ?
- avec les animaux : plus la science progresse, plus l'on voit que les animaux supérieurs (surtout chimpanzés et gono-gono) sont proches de nous ; et jusqu'où sont-ils sujets de droits (responsabilité en cas de comportements dommageable, droits à respecter)
- avec les machines : bien qu'elles soient radicalement différentes des animaux, plus elles progressent, plus la question se pose dans termes comparables à ceux des animaux : responsabilité et droits des robots.
Qui décide de tout cela ? Les animaux et les robots devraient avoir voix au chapitre...
2. Les limites de contrôle de soi-même. Nous ne pouvons pas décider d'arrêter notre respiration ou notre circulation sanguine ou le fonctionnement de nos intestins. Tout au plus les accélérer ou les ralentir temporairemnet.
A-t-on le droit de se suicider ?
3. Les limites récursives de la rationalité. Elle s'applique aux causes efficientes (qu'est-ce qui a causé tel effet) et surtout, en matière de volonté, aux causes finales : pourquoi peut-on /doit-on faire on ne pas faire telle ou telle chose. Quelle que soit la réponse, on peut toujours lui appliquer à nouveau la question. Il n'y a pas de solution rationnelle.
Nous avons donc deux manières principales de décider "finalement" :
- faire référence à une cause qui soit cause d'elle-même (Dieu) et en pratique faire confiance à des personnes et à des institutions que nous considérons comme ses représentants; s'il n'y avait qu'une seule religion, le problème serait définitivemnet résolu;
- décider "librement" ; mais
.
il y faut un certain courage, il faut assumer la responsabiltié de ses actes,
. comment agglomérer ces décisions réellemnet indépendantes ?
4. L'impossibilité d'empêcher le mal. Homo sapiens ne peut rester tel qu'en restant libre, et donc en restant capable de "faire le mal".
Conséquences de ces limites
Si compétents soient-ils, ni le raisonnement ni les experts ne peuvent pas, dans grand nombre de cas, dire "ce qui est bien". Il faut donc vraiment "décider".
C'est là que l'on peut comparer démocratie et monarchie...
On pourrait proposer que les experts eux-mêmes montrent la limite de leurs compétences et disent alors sur quels points il faut recourir à la décision collective.
Références
Huxley
Superhbs
Virtual competition