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Pierre Berger. octobre 1979

Un concept limite, l'information parfaite

L'information parfaite, et les lois qui la régissent, n'ont pas d'intérêt en elles-mêmes. Mais le fait qu'elles polarisent un grand nombre d'évolutions actuelles en font un bon point d'approche, voire une source de créativité, pour mieux comprendre et mieux s'insérer dans le monde d'aujourd'hui et sa dynamique, depuis les circuits intégrés jusqu'aux systèmes sociaux.

Ces propositions devraient permettre, à plus compétent que moi, de déboucher sur une réflexion (ou une modélisation) de nature quantitative, notamment à partir des points 26/27 (fusion des concepts d'opérateur et d'opérande) et 51 (relations entre le degré de "perfection" de l'information et la puissance de ses effets).

Un concept limite

L'information est une différence qui engendre une différence. Cette génération s'opère dans l'espace (communication), dans le temps (continuité de la mémoire, ou au contraire rupture de l'événement), dans la forme (émergence et traitement des différences).

Concrètement, toute information est portée par une matière, véhiculée par une énergie, insérée dans un espace et un temps donnés. L'information est "chargée" ("de" quelquechose, "dans" quelquechose, hic et nunc...). Mais ce chargement est étranger à la différence proprement dite, bien que l'on ne puisse l'en séparer que par un passage à la limite.

Nous parlons toujours d'informations concrètes, chargées, mais nous pensons toujours plus ou moins à une information parfaite sous-jacente. Une information dégagée de la masse, des contingences de l'énergie, des strucurations de notre espace et de notre temps.

Cette information parfaite, c'est une notion limite, comme le gaz parfait de la loi de Mariotte : il n'existe aucun gaz parfait, mais on peut en décrire les lois, et les utilise efficacement pour travailler sur les gaz réels, dans la mesure où ils se comportent comme des gaz parfaits. Il en va de même de l'information parfaite, mais celle-ci n'est pas seulement une approximation de l'information concrète,elle est aussi une limite dont toute l'Histoire nous rapproche sans cesse, par la technologie comme par la méthode. C'est pourquoi le concept d'information parfaite, bien que théorique, est si fécond pour analyser l'évolution de notre époque, et pour regarder son avenir.

Nous allons proposer ici un ensemble de lois. Leur forme est intuitive, peu formalisée. Certaines d'entre elles sont certainement contestables, imprécises, porteuses de contradictions. Mais elles ont été fécondes pour notre réflexion, et nous espérons qu'elles seront utiles à ceux qui iront plus loin.

Lois de base

1. L'information parfaite est une différence qui n'a d'autre réalité que d'engendrer une différence. C'est une forme pure, une pure structure. Elle est parfaitement formelle.

2. L'information parfaite n'a besoin d'aucun support matériel ou, si l'on préfère, elle se contente d'une quantité de matière nulle. Sa masse est nulle.

3. L'information parfaite n'occupe aucune durée, se génère sans délai, ou se situe dans un espace formel sans relation nécessaire avec le temps physique.

4. L'information parfaite n'occupe aucun espace, sinon un espace abstrait, sans relation nécessaire avec l'espace au sens habituel.

5. L'information parfaite n'a aucune forme particulière, sinon les formes abstraites nécessaires à l'application de ses lois.

6. L'information parfaite est indifférente à l'énergie. Elle ne consomme (ni ne libère) aucune énergie physique ni "psychique".

7. L'information parfaite, en elle-même, ne met en jeu aucune valeur économique ni morale. Elle ne coûte rien et ne rapporte rien. Elle "n'a aucun intérêt". Elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est parfaitement neutre.

Corollaires

11. La duplication, ou reproduction, de l'information parfaite se fait à coût nul. (Derrière ce point, une question à résoudre : dans quel "espace" se fait la duplication, dans quel espace deux instances différentes d'une même information parfaite peuvent elles coexister ?).

12. L'information parfaite est éternelle, puisqu'il ne coûte rien qu'elle se reproduise indéfiniment dans le temps. Elle est aussi parfaitement fugitive, puisqu' "un rien", au sens strict, peut la modifier.

13. Pour l'information parfaite, le temps est réversible. Passé et présent peuvent s'interchanger. Les successions que l'on peut introduire dans le temps de l'information parfaite ne sont pas en relation directe avec notre temps.

14. La génération de l'information parfaite se fait sans bruit, erreur ni doute. L'information est toujours "vraie". Elle est toujours image parfaite d'elle même. La "conscience" est parfaitement transparente à elle-même. C'est d'un même mouvement que l'on pense et que l'on se pense, à supposer que ces mots aient un sens dans le domaine de l'information parfaite.

15. La description d'une information parfaite est identique à cette information même. L'information parfaite est donc parfaitement objective... si elle ne se réfère qu'à l'information parfaite. Il faudrait voir de plus près.

16. L'extension d'un concept (c'est à dire le nombre d'objets qu'il représente) est infinie, puisqu'il peut y avoir génération indéfinie de la même information.

Composition et décomposition de l'information parfaite

21. Les informations parfaites se composent par comparaison et addition. La comparaison fait apparaître des parties identiques, ou redondances, qui s'élimitent. Les parties différentes s'ajoutent, sans perte ni gain.

22. L'information parfaite est parfaitement décomposable, jusqu'à l'atome absolu d'information parfait, le bit, élément insécable de différence. Elle est donc parfaitement digitale.

23. La seule mesure de l'information parfaite et de sa "valeur", c'est son nombre de bits. Cette valeur est aussi synononyme de complexité.

24. Le sens d'une information parfaite pour une autre information parfaite est cette partie de la première qui s'ajoutera à la seconde dans l'opération de composition.

Notes.
On pourrait sans doute améliorer cette loi. Surtout le "s'ajouter".
Voir par ailleurs ce que j'ai écrit sur le sens. On voit se poser ici l'individualisation d'une "information parfaite"
.

25. Un bit isolé n'a pas de sens. C'est sa position dans la structure qui lui donnera un sens. On voit que l'on est conduit ici, pour au moins "imaginer" les informations parfaites et leurs lois de composition, à leur prêter un minimum de forme. On peut, en première analyse, se les représenter comme des mots binaires de longueur quelconque.

26. Quand il s'agit d'informations parfaites, opérer sur une représentation et représenter une opération sont strictement équivalents. Il n'y a pas de différence fondamentale entre un opérateur et un opérande, entre un programme et une donnée. Non seulement la machine informationnelle parfaite est "réversible", comme la machine thermique, mais encore il y a réversibilité entre la machine et ce qu'elle produit.

27. Toute information parfaite est donc un opérateur, et un opérateur autonome, donc un "automate", qui "fonctionne tout seul", puisqu'il n'a besoin d'aucune énergie, matière ou masse pour fonctionner.

Relations de l'information parfaite avec le concret

Pour que l'information parfaite présente une certaine valeur, économique, morale ou autre, il faut qu'elle soit mise en relation avec notre univers concret.

31. Si une information parfaite est déterminée par un objet ou un processus quelconque (qui peut être une autre information parfaite), sans modifier ni perturber aucunement cet objet ou ce processus, elle est diteinformation SUR cet objet ou ce processus, ou encore représentation de cet objet ou de ce processus.

Il n'existe pas d'information parfaite, et toute représentation perturbe toujours peu ou prou ce qu'elle représente. On peut proposer ici une définition générale de l'information comme représentation :

32. Une information est un objet ou un processus qui est déterminé par un autre objet ou processus sans le perturber ni le modifier de manière sensible.

Cette définition n'est sans doute pas totalement satisfaisante, mais convient dans certains domaines déterminés. Le "sensiblement" correspond au seuil de tolérance admis dans la définition de l'objet ou le fonctionnement normal. Cela reste, au départ, quelque peu subjectif. Fonctionnement normal pour qui ? Mais une modélisation quantitative de cette définition devrait être possible.

Ces définitions introduisent une dissymétrie entre le déterminant et le déterminé, reprenant l'opposition classique entre signifiant et signifié, entre représentation et représenté, carte et territoire, etc.

33. L'information prend une valeur par la possibilité qu'elle a d'influer sur le monde réel. Il y a donc influence réciproque entre l'information et le monde réel. D'une part l'information est (par définition) déterminée par ce qu'elle représente, d'autre part, si elle a une valeur, c'est qu'elle peut influer sur le monde réel, c'est à dire matériel, énergétique,etc.

La croissance de l'information. Constatations

41. La quantité d'information s'accroît. L'information devient de plus en plus parfaite. Autrement dit, les propositions précédentes deviennent de plus en plus vraies : elle sont des limites, mais on s'en rapproche toujours (asymptotiquement ?).

En attendant une meilleure formulation mathématique, on pourrait obtenir un paramètre unique d'expression de cette croissance en multipliant le nombre de bits disponibles à un moment de l'histoire du monde par l'inverse du chargement (matière-énergie) par bit.

Cette proposition est de nature physique, cosmologique, concrète, alors que les précédentes avaient un caractère axiomatique. Par conséquent, cette proposition appelle un processus de vérification. Au niveau de l'univers pris globalement, la preuve est sans doute impossible. Par contre, en se restreignant à des systèmes plus fermés, la preuve doit être possible, et son processus même serait instructif. Contentons nous ici de relever quelques voies de cette croissance.

41.2 Réduction de la quantité de matière et corrélativement des espaces occupés. Intégration des circuits électroniques, micrographie, miniaturisation sous toutes ses formes, disque optique (dans certains cas, on tend à se rapprocher des limites physiques de la matière). Accroissement de la culture et de la productivité des indivisus (dont la masse physique reste sensiblement constante, quoique un peu plus élevée dans les pays développés). Emploi de notations puissantes.

41.2 Réduction des temps et délais. Débit des calculateurs, accélération de la conception des produits, circulation des nouvelles. Et plus généralement mais sous réserve d'inventaire : accélération de l'Histoire.

41.6 Réduction des quantités d'énergie. Energie physique. Evolution des calculateurs, des télécommunications.

41.11 Réduction du coût de la reproduction.. Comparer le prix d'une copie dans l'antiquité (stylet sur tablette de cire), au Moyen-Age (parchemin), dans les années 30 avec le papier carbone, et aujourd'hui avec la photocopie. Ajouter la télécopie.

41.12 Information toujours plus éternelle et fugitive à la fois. Pour ce qui est de l'éternité, ce n'est pas évident : la stèle d'Hammourabi est toujours parmi nous, alors qu'on peut s'interroger sur l'avenir de nos mémoires magnétiques, du papier en général, et tout particulièrent de la photographie couleur. Quant au fugitif, entre le journal télévisé et les quotidiens quotidiennement jetés... Notons une mobilisation progressive du passé par l'Histoire, mobilisation qui va jusqu'à une modélisation propre à "refaire" le passé.

41.13 Réversibilité du temps. Le principe en est acquis dès que l'on a utilisé l'espace graphique pour représenter des phases successives d'un processus quelconque. Les alignements de Carnac sont-ils un calendrier ? On peut varier le processus aujourd'hui avec la modélisation... ou simplement en faisant passer un film à l'envers.

41.14 Reproduction de plus en plus parfaite. Voir photographie, photocopie, reproduction d'oeuvres d'art. Mais aussi codification redondante de l'information (codes cycliques, bits de parité, lettres de contrôle, etc.).

41.16 Extension infinie. Normalisation, composants électroniques en millions d'exemplaires, industrialisation, millions sinon milliards d'une même image diffusion dans le monde entier.

41.15 Description identique à l'information même. Problème plus complexe. Voir notamment J.L. Peaucelle : "Décrire les besoins revient à décrire tout le système d'information, ... il n'y a pas de différence de nature entre un besoin en information et un système d'information".

41. 21 Composition sans perte ni gain. Tendance à passer par exemple de l'opinion, où une voix plus une voix égale deux voix, à la non addition de deux informations identiques. Par contre, deux informations différentes s'ajoutent absolument. Noter que le scientifique se capitalise plus que le littéraire, a fortiori que le métaphysique. Bases de données. Le digital est ici très favorable.

41.22 Décomposition parfaite, digitalisation. Mathématiques, meccano, Lego. Réduction de toutes les mathématiques à quelques signes de base (voir par exemple le début de Bourbaki). Exemple limite : générateur digital de bruit blanc (Electronics, septembre 1979).

41.23 Valeur en soi de l'information. Le nombre de bits est de plus en plus mesurable, du fait de la digitalisation. A mesuret dynamiquement (débits binaires) autant que statiquement. Il y a cependant desproblèmes difficiles (voir les ouvrages de Sarzotti, Butrimenko, Aho, etc.). Valeur du bit par sa position. Exemple : dans une base de données, la signification d'un bit sur une pile de disques n'est donnée que par sa position, sur tel secteur de tel piste, et dans la structure fonctionnelle de la base.

41.26 Fusion des concepts d'opérateurs et d'opérande. Dans les processus à forte charge de matière et d'énergie, on note une forte disproportion entre les opérateurs et les opérandes : rien de commun

41.27 De l'information à l'automate. L'ordinateurest le prince des outils informationnels, mais c'est aussi l'automate par excellence. Tout ce qui est formalisable est automatisable. En particulier, quoiqu'on dise souvent pour se rassurer, il n'y a pasde différence profonde entre l'emploi de l'ordinateur pour aider l'homme et le remplacement de l'homme parl'ordinateur. L'ALU comme magique de base.

Croissance de l'informationnnel, structuration

42. Les lois qui régissent l'information parfaite ne sont pas indépendantes. En tous cas, pas totalement. On pourrait chercher méthodiquement les dépendances, ou à l'inverse cherches des axiomatisations qui conduiraient à l'indépendance. Nous proposons ici quelques lignes majeurs de la convergence entre ces lois.

42.6 Les relations opérateurs/opérandes (propositions 26 et 27) et leur confusion au plan de l'information parfaite sont liées à leur digitalisation, mais aussi assez directement à l'annulation des inerties matérielles, des délais. Pour être quivalemment processeur ou donnée, une information doit être légère, et un opérateur doit devenir "soft" pour passer en machine par les mêmes canaux que les données.

42.27 La loi 27 (toute information est automate) pourrait être considérée comme la cause de la loi 41: si l'information parfaite est un automate de puissance infinie... il est normal que sitôt émergée en quelque manière, elle prenne un rôle dynamique et créer un mouvement de croissance...

43. La montée de l'information ne se fait pas au hasard. Elle suit en particulier les lois générales de l'évolution systémique (voir par exemple Le Moigne) et le significatif emploi récursif de ces principes dans la thèse de Lossa.

Rien de plus fort que la perception

51. Plus l'information est parfaite (autrement dit, moins elle est chargée de matière/énergie, plus elle correspond aux lois énumérées ici...) et plus son couplage avec le monde concret est générateur d'effets énergétiques importants.

ou, dynamiquement:

52. Tout pas significatif vers une information plus parfaite s'accompagne d'effets énergétiques importants, aussi bien sur le plan "technique" (Nasa) et économique que sur le plan moral.

53. Un grand nombre de concepts utilisés en épistémologie, informatique, organisation, psychologie, théorie des systèmes... gagneraient à être redéfinis de manière quantitative en termes de chargement par rapport à l'information parfaite.

54. Les processus de formalisation, de perfectionnement de l'information, passent souvent par une phase réductionniste qui déforme la réalité; la ramenant à des schémas simplistes. Mais, au delà d'un certain degré, on rejoint puis on dépasse la précision et la qualité des techniques d'origine.

55. Si l'homme n'a pas le monopole de l'information, ni même de l'information digitale, dans le processus cosmique de montée de l'information, il occupe une place indubitablement importante:
- par ses aptitudes remarquables à stocker, traiter et communiquer l'information (homo sapiens);
- par son activité organisatrice, "informante", qui s'étend progressivement à tout l'univers, et de plus en plus profondément (homo faber).

56. L'information parfaite n'est pas l'esprit. Cette extraordinaire montée de l'information ne doit pas conduire à une confusion, source de rêves toujours déçus ou de cauchemards apocalypiques dont nous sommes toujours (jusqu'aujourd'hui) sortis.