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A nouvelle informatique, nouvelle politique

For the new AI (Advanced Informatics), new Politics

Ma conviction : La nouvelle informatique va supprimer beaucoup plus d'emplois (au sens traditionnel du terme, de salarié) et en créer peu, ou d'un type différent. Il est donc essentiel de construire une autre politique que la spirale emploi/ croissance/ innovation/ compétitivité. Et pour cela d'ouvrir à tous non seulement les moyens mais aussi les raisons de vivre.

Brad Stone: Comment de petites équipes visionnaires, mais aussi compétentes et accros au travail changent l'économie de professions entières.

1. Les faits, tels que je les vois (subjectivement, certes)

Une informatique radicalement nouvelle pousse sous l'ancienne. Pas si nouvelle que cela, répondent les sceptiques, car elle ne fait que reprendre tout un volet de l’informatique qui avait bien été vu dès Von Neumann notamment (les automates autoreproducteurs) et d’autres  (McCulloch), et négligé depuis.  Il aurait pu être relancé par l’arrivée des virus vers 1987 mais cela ne s’est pas fait.  On a continué à penser en termes de raisonnement, d’analyse et d’algorithmique. Et l’IA de cette époque s’est plantée.  En partie d’ailleurs tout simplement parce qu’on n’avait pas les moyens, à l’époque, d’intégrer beaucoup de données, et en particulier de contexte.

 Ce qui monte aujourd’hui n’est pas conceptuellement novateur. Mais les masses changent tout.  C’est comme le maniement d’un voilier quand on passe d’un 4,5 m à un 10m et plus (j'emploie des termes de profane .  Sur un petit voilier, quand on n’a pas trop bien réussi son accostage, on peut repousser ou retenir le bateau avec le bras.  Impossible sur un plus gros bateau. Et sur un grand navire, la barre est nécessairement commandée par des moteurs ou des vérins.

Marz & Warren: presque une métaphyique du big data, mais débouchant sur des pratiques techniques.

Idem pour le big data.  Fondamentalement, cette technologie conduit à des atomes informationnels qui sont invisibles à l’œil nu, et des masses de données que tu ne peux traiter “à la main”.   Il n’y a pas tellement besoin d’innovations conceptuelles, on avait déjà l’essentiel dans les bases relationnelles et les modèles de données.   Mais il faut radicalement renoncer à les maîtriser sans outils.

A fortiori le deep Learning, où la puissance des réseaux neuronaux masque non seulement les algorithmes mais le progrès des connexions, d’une manière qui n’est pas rationnelleement descriptible ni analysable.  Villani a dit cela très bien, mais on trouverait sûrement des sources plus pertinentes. 

La question n’est plus de savoir si tout est analysable ou pas: on peut contrôler un processus, gagner à un jeu ou traduire une langue sans aller très loin dans l’analyse, à condition de pouvoir stocker et intégrer un très grand nombre (des millions sinon des milliards) de “cas de figure”. L’effort d’analyse peut d’ailleurs être contre-productif. Jean-Paul Haton (spécialiste de l'IA) disait un jour à l’Institut Bull “Moins les linguistes se mêlent de traduction automatique, mieux ça marche”.

Ezrachi: la nouvelle informatique rend impossible un jeu "normal" des marchés et l'application des lois antitrust.

2. S’en réjouir et/ou s’en inquiéter.

S’en réjouir, bien sûr. Internet et Google offrent à quelque 95% des humains une bibliothèque sans précédent.  Tout le monde peut se faire plaisir à domicile, avec un film ou une poupée plus ou moins robotisée (spécialité japonaise) sans prendre les risques d’un contact avec un partenaire de rencontre ou un(e )prostitué(e), et sans les engagements non voulus dans une parentalité.

S’en inquiéter, tout autant. Au delà des craintes pour la vie privée, de la fragiltte de ces systèmes et de la cyberguerre, il y a le fait fondamental que nous maitrisons de moins en moins ce qu'il y a dans les machines, où que nous le ne maîtrisons que par l'intermédiaire d'autres machines, qui sont pour une large part entre les mains de quelques grands décideurs internationaux.

3. Le scénario que je vois se dessiner.

C’est une forme de transhumanisme “sournois”.  Ce ne sont pas des robots qui prennent le pouvoir comme chez Asimov.  Ou qui deviennent plus intelligents que nous et qui nous remplacent, sinon nous détruisent pour économiser les ressources naturelles et se protéger de la méchanceté et de la bêtise humaine. Ni qui eux-mêmes construisent des robots encore plus intelligents qu'eux et donc encore plus inaccessibles à nos intelligences (c'est une des versions de la "singularité").

Jasanoff : Se défaire des fatalismes et ne pas renoncer à l'éthique.

Plus simplement, mais plus réellement et très fortement en ce moment, c’est la montée conjuguée des données, des réseaux neuronaux et du cloud. Par leur masse, leur puissance de traitement, et le fait que les machines communiquent entre elles biens plus vites qu'avec nous et que les humains entre eux (sinon, dans un corps humain, entre les différents organes).

Ici, le terme de  “cloud”, évoquant l'espace stratostphériue, est trompeur. En termes d'isochrones, ce sont les machines qui sont proches les unes des autres, et nous qui sommes rejetés à la périphérie.

Cette nouvelle informatique nous éloigne de la maîtrise des évolutions en cours, aussi bien globalement que pour notre vie personnelle.

Cela tient à la démission des politiques face à la technique. Elle a commencé avec le capitalisme et la “main invisible de l’économie”  (Qui dirait encore aujourd’hui, comme De Gaulle, que le destin de la France ne se joue pas à la corbeille).

Au sommet, il y a les super-plateformes, les “uber”  (terme qui n’a pas été choisi au hasard par ses fondateurs°).  Avec des équipes dirigeants extrêmement compétentes, travailleuses, capables de séduire clients et investisseurs par milliards.
Ces gens-là ne sont pas des monstres, mais ils ont été élevés dans un système de valeurs qui ne privilégie que la réussite, la gagne en capitalisation et en parts de marché.  Ils ne sont pas spécialement malhonnêtes, mais ne voient pas pourquoi on leur reprocherait d’optimiser leur fiscalité ou de manipuler les politiques avec de bonnes équipes de lobbyistes.

Au dessous, il y a les “bullshit jobs”, mal payés et sans garanties sociales. Les chauffeurs d’uber, les manœuvres non qualifées d’Amazon, etc.

La page d'accueil de Diccan. Faite automatiquement par Roxame. Mais demain Google fera encore mieux !

Et entre les deux, une part croissante de gens comme vous et moi, peut-être cultivés et assez travailleurs, mais dont les machines auront de moins en moins besoin. 
Toute les fois que je travaille sur diccan (dictionnaire de l'art numérique incluant Roxame, logiciel d'exploration de l'esthétique numérique), en ce moment, je me dis que bientôt Google fera cela aussi bien sinon mieux que moi.  Et j’en ai confirmation au fil des jours, quand je vois la rapidité, la contextualisation et l’élaboration graphique des réponses reçus à mes requêtes.

Malheureusement, sauf Benoit Hamon peut-être, les hommes politiques ne voient pas cela. Et leurs électorats encore moins, qui se figurent qu’en fermant les frontières et en arrêtant la mondialisation on retrouvera une “belle époque” imaginaire.

 

4. Que faire ?

Il y a des solutions, en tous cas des voies pour en trouver. Les auteurs intéressants (en dehors de Thomas Piketty  (qui d'ailleurs est dans l’équipe Hamon) sont surtout américains.  Les auteurs français (Alfred Stieglitz, et a fortiori Bruno Latour) se perdent dans les abstractions.   Les américains lancent des concepts, mais les appuient à chaque page sur du concret. 

- D’abord, écrit Sheila Jasanoff,  se défaire des idées courantes (convential wisdom) et notamment:
- l’impossibilité d’agir sur l’évolution des technologies,
- la confiance exclusivement accordée aux experts
- l’indulgence face aux innovateurs qui ne sont pas responsables des effets secondaires de leurs entreprises.

- Ne pas faire de cadeau aux (gros) patrons (au capital) en espérant qu’ils créeront des empolois (Cf. Gattaz). Si on assouplit les règles et si on augmente leurs marges, ils ne feront que délocaliser ou automatiser (les robots commencent à coûter moins cher que les esclaves chinois ou philippins), ou encore augmenter la rétribution des actionnaires (j’ai un petit portefeuille, et de ce côté, je n’ai pas à me plaindre).

- Renforcer le pouvoir des pouvoirs publics. Pas seulement les Etats (vielle hantise néo-libérale), mais aussi Nations Unies, Régions, Communes, voire quartiers. Mais il y a des limites, car on voit trop bien, les "élus" ne sont pas plus “moraux” que les patrons du Gafa, et qu’ils en revanche capables de monstruosités en tout genre. Quant aux règlementations, elle ne sont qu'une nouvelle forme de machines.

- Ne pas se cacher les difficultés de cette reconquète est difficile. On a vu apparaître avec la crise bancaire l’expression “Too big to fail, too big to jail”.  Il est clair que tout excès de réglementation entrave des développements souhaitables.  Et par ailleurs, les nouvelles technologies rendent difficile l’application des législations (fiscalité, antitrust). Et bien entendu le capital ne manque pas de moyens pour influencer les politiques. Mais ne désespérons pas.

- Chercher des solutions dans de plus petites structures: Ies collectivités locales, le tiers secteur (associations) et les petits patrons.  A petite échelle, on peut mieux conjuguer l’intelligence et l’affectif.  Ne rêvons pas trop quand même.

- Donner du sens. Car, en espérant que tout n’explose pas à (atome, réchauffement, radicalismes…),  la planète a sans doute les moyens de donner à tous les moyens de vivre (revenu universel à moduler). Mais les moyens ne suffisent pas. Il faut aider chacun à trouver ses faisons de vivren de trouver un sens à sa vie.  Là dessus, il y  des pistes dans Emily Smith, pour qui le “meaning” est plus imporant que la “happiness”, et qui donne quatre pistes : communauté, projet, scénario, transcendance (je traduis faute de mieux ses termes :  belonging, purpose, storytelling, transcendance).

Esfahani Smith : belonging, purpose, storytelling, transcendance.

- Ces stratégies ne peuvent se jouer sans coopération internationale, avec une hiérarchie raisonnable de structures intermédiaires descendant jusqu'aux petites structures (PME, familles, travailleurs "indépendants".

Cela n'exclut pas la défense ou la reconstruction de certaines séparations territoriales, en appliquant le principe de subsidiarité. En effet les principes d'Emily Smith, notamment "belonging" et "purpose" ne peuvent s'appliquer que dans un espace proportionné aux capacités de chacun (quelque chose comme les aires et périmètres de la pédagogie).

Mais en se gardant de rhétoriques clivantes. Tout Etat doit reconnaître qu'il n'est qu'un échelon de vie et de décisions au sein de l'humanité. Refusons des slogans comme "America First" ou "La France aux Français", a fortiori les nouveaux impérialismes. Face à une informatique unifiée par sa nature même, l'humanité doit elle aussi s'unir. Intelligemment...

 

Pierre Berger.  Version provisoire, écrite d'une traite le 16 février 2017. Corrections mineures à la relecture. Tous commentaires seront bien reçus.

Quelques références


- Brad Stone : The Upstarts. How Uber and the Killer companies of the new Silicon Valley are changing the world. Bantam 2017.
- Nathan Marz et James Warren : Big Data. Principles and best practices of scala le real-time data systems. Manning, 2015.
- Ariel Ezrachi et Maurice Stucke :  Virtual Competition . Harvard_University_Press 2016.
- Sheila Jasanoff : The ethics of invention. Technology and the human future.  Norton 2016.
- Emily Esfahani Smith : The power of meaning.  Crafting an life that matters. Crown, 2017.

Ces questions font l'objet d'articles dans presque tous les numéros récents des Communications de l'ACM (Association for Computing Machinery, une des plus grandes associations internationales d'informaticiens).