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Droit

Humain et transhumain

Note, spring 2012

Le thème du transhumanisme est à la mode. On retrouve un peu l'ambiance et la créativité littéraire des années 1950-1960, dominée par le ""Moi Robot"" d'Isaac Asimov et nombre d'ouvrages, dont un des plus audacieux et des plus oubliés est le Robots and changelings de Lester del Rey (Ballantine Books, 1957).

Et la ""singularité"" annoncée notamment par Ray Kurzweil intéresse. Monique Atlan et Roger-Pol Droit, écrivains et journalistes, y ont consacré un ouvrage de 559 pages : Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies (Flammarion, 2012). Dans ce but, ils ont rencontré plusieurs dizaines des personalités compétentes dans ce domaine. 559 pages d'enquête, méthodique et un rien sceptique comme il convient à des journalistes qui ne s'en laissent pas compter. Un bon état de l'art actuel et de ses références historiques.

Solide, bien écrit. Juste un manque : l'art, les artistes, et leur responsabilité dans ces ""révolutions"".

Nous rejoignons une de leurs conclusions : ""Nous sommes passés, pratiquement sans le savoir, d'une représentation de l'homme à une représentation de l'humain"". Nous avions nous même fait ce choix pour notre livre ""L'informatique libère l'humain"" (L'Harmattan 1999, et texte intégral en ligne sur ce site). D'accord aussi sur leur double mise en garde ""Envers sciences et techniques aujourd'hui, la confiance aveugle est une erreur. La défiance systématique en est une autre. Seule l'idée d'une responsabilité constament réendossée s'avère utile"".

Mais qu'est-ce que l'humain, qu'a-t-il en propre ? Pour les auteurs ""Parmi ces spécificités, figturent le langage, la capacité d'imaginer ce qui est abhsent, la faculté de se déprendre de l'immédiat... un certain rapport à l'infini"". Le langage ? Les ordinateurs échangent tous les jours des données, dans des langages, et ils ""comprennent"" les langages de programmation. Ils sont meme capables de créer des langages, comme l'a montré Frédéric Kaplan. Quant à la notion d'infini, elle est incluse dans le concept même de récursion (ou, plus clairement encore, dans la définition de la machine de Turing) essentiel à toute l'informatique. Resterait alors une autre spécificité, avancée un peu plus haut (page 521) : ""Si un propre de l'homme existe, il revient à construire des histoires"". Nos auteurs n'ont-ils pas entendu parler du story-telling ? Lui aussi peut s'automatiser, même si les résultats actuels sont encore assez limités.

Mais ce point de la critique révèle un point faible de l'ouvrage : parmi les multiples experts rencontrés, aucun artiste ne figure. Cela n'aurait peut-être pas beaucoup modifié le résultat: la plupat des artistes, même numériques, voire génératifs, restent très attachés à l'auteur et à son caractère irremplaçable, et l'ordinateur n'est qu'un outil. Pour nous (voir notre site Art Génératif ) l'artiste génératif transfère à son oeuvre une part de sa capacité créatrice. La création d'une histoire n'en est qu'un cas particulier, celui du texte.

Nous pensons que rien n'est l'apanage exclusif de l'homme ni de l'humain. L'homme est la pointe avancée de l'évolution, de la montée de la complexité et de la liberté. Mais les machines qu'il fabrique progressent exponentiellement en performances. Elles réduisent donc peu à peu les domaines de la supériorité humaine . L'horizon 2030-2050 avancé par les trans-humanistes pour une ""singularité"" est raisonnable. C'est bien proche ! Il ne suffit donc pas, comme Atlan et Droit le disent, d' ""une attention toujours en éveil"". Il faut faire le possible pour prévoir les modalités de la transition, et prendre au plus tôt les mesures qui pourraient préserver les valeurs de l'humanité.

C'est là que les arts numériques, et génératifs plus spécialement, ont un rôle à jouer. Comme la science, avec laquelle ils sont en dialogue constant, ils sont un moyen d'investigation et donc de prévision. Mais les scientifiques, en tant que tels, n'ont à chercher que le vrai, pas ""les valeurs"". Ce n'est pas non plus aux artistes n'ont pas à définir les valeurs morales et moins encore de faire les choix économiques et politiques. Ils peuvent s'engager au service de telle ou telle cause (écologie, justice, paix). Mais c'est toujours au risque de sacrifier l'essentiel de l'art : la recherche du beau (tant pis si le mot n'est plus à la mode). C'est en mettant au service de leur création tout ce qu'apporte le progrès technique, et en particulier ce que [Johnston] appelle la ""machinic life"", qu'ils peuvent contribuer à préparer les formidables échéances de ce siècle.

- Un autre point de vue sur l'ouvrage: Le fil des pages (Serge Champeau).
- Le site de Roger-Pol Droit. La page de Monique Atlan sur France 2.
- Sur un thème proche, vient de paraître: Debates in the Digital Humanities, par Matthew Gold (ed.). University of Minnesota Press, 2012.