Notes suite à l'exposé de Vincent Boyer au Paris ACM Siggraph, le 24 novembre 2011 sur le rendu expressif
Pourquoi les artistes ne se servent-ils pas de nos merveilleux outils ?
La technique est nouvelle
- La technique est nouvelle : pas tellement. Je me rappelle très bien de mon éblouissement devant lès programmes d'aquarelle présentés au Siggraph 1992 (Chicago) par exemple. En gros, on peut dire que bon nombre d'outils sont disponibles depuis vingt ans
Déjà, dès les premiers écrans couleurs iet les IHM à la Star/Macintosh/Windows, on pouvait assez bien s'amuser avec la souris. Pratiquant alors l'aquarelle en amateur, j'ai voulu faire quelques essais sur la machine de mon bureau au Monde Informatique, et c'était déjà assez amusant.
Vingt ans, pour une technique, ce n'est plus la prime jeunesse !
Le milieu artistique est conservateur
Dans une large mesure, oui, comme tous les métiers où des situations sont acquises, et des postes d'enseignement confiés, par nécessité, à des personnes d'expérience qui ne sont pas trop poussées à innover. Dans les années 1950, bien des professeurs de dessin considéraient que l'art s'arrêtait avec les impressionnistes.
En revanche, il y a constamment chez les artistes un besoin de se distinguer pour "percer", et quelques uns choisissent l'innovation technique. Nou en donnons maints exemples dans la partie historique de notre livre L'Art Génératif (avec Alain Lioret. En préparation. La partie historique est provisoirement en ligne sur : http://diccan.com/Art_Generatif/Art_Generatif1.htm.
Par manque de culture technique ? C'est souvent vrai mais pas toujours. Picassso ne savait que peindre, mais Juan Gris avait une culture d'ingénieur. Et le manque de technicité n'a pas empêché un Marcel Duchamp de se lancer dans l'art cinétique au milieu des années 30 (il faillit se blesser sérieusement, ayant oublié qu'un verre que l'on fait tourner rapidement peut se briser sous l''effet de la force centrifuge).
Bon nombre d'artistes se sont donc lancés dans l'art numérique, y compris dans le rendu expressif, depuis plusieurs années. Voir http://diccan.com, où cette analyse précise (rendu expressif ou non reste à faire).
Mais cela ne marche pas. La coupure avec le monde de l'art (des "beaux arts", c'est à dire de la peinture) reste totale. Il suffit de visiter les Fiac ou de lire la presse spécialisée. Dernier exemple typique : La revue Beaux-Arts litre son numéro spécial de décembre 2011 : "Le meilleur de 2011". Rien pour l'art numérique. Exe:Exemple plus ancien, nos commentaires au moment du Siggraph 2008 à Los Angeles http://diccan.com/Berger/sex-par-pierre-berger.htm.
L'art numérique ne convient pas au marché de l'art
Ce qu'on appelle "le marché de l'art", c'est ce qui vend dans les galeries et les salles des ventes, de Drouot à Sotheby en passant par Chatou-Croissy. Cet univers à trois exigences, qui tiennent à des raisons commerciales ou juridico-fiscales :
- il doit d'agir d'un objet physique, que l'on peut accrocher aux murs de la salle des ventes et ultérieurement, dans son salon ; une bonne part des oeuvres numériques (vidéos, fichiers d'image non matérialiisés, etc.) ne s'y prêtent pas,
- l'objet doit être unique ; les copies n'ont pas de valeur "artistiqtue" ; la contrainte a été tournée par le monde de la gravure et de la photographie, par des tirages limités ; cela ne marche guère pour les autres oeuvres numériques
- l'objet doit offrir une garantie de pérennité aussi longue que possible, et les oeuvres digitales sont donc soit fragiles (impressions jet d'encre), soit difficiles à maintenir (évolution des systèmes d'exploitation, difficulté croissante et parfois totale pour trouver des pièces détachées en cas de panne, etc.
Le marché de l'art a pourtant fait des efforts persévérants pour faire place à ces nouvelles oeuvres (quelques galeries, Drouot et Me Cornette de Saint Chypre en particulier), Mais, en 2011, il n'y a pas encore vraiment de "marché". Les artistes vivent de contrats publics obtenus dans des conditions opaques (voir les nombreuses interventions de Redû For est), d'un salaire obtenu par ailleurs (enseignant, parfois développeur informatique), de leurs rentes ou de leur retraite.
Le public est réticent, sinon hostile
Le grand public a toujours été long à s'habituer aux formes nouvelles de l'art. Les artistes le payent de leur misère, s'ils ne rencontrent pas l'audace de quelques collectionneurs et marchands. Pour les raisons ci-dessus, ces aides font défaut à l'art numérique.
Ajoutons que le public d'aujourd'hui, qui a passé sa journée de travail devant l'écran de son ordinateur, plus celui de son téléphone portable, sans compter la tablette, le GPS et les écrans publicitaires des transports en commun, n'a pas spécialement envie de retrouver du numérique sur les murs de sa salle de séjour, d'autant plus qu'y trône déjà le grand écran du téléviseur.
Enfin, psychologiquement, l'art peut être considéré comme un des derniers refuges du biotope primitif, où les plantes poussaient dans de la vraie terre et les animaux n'étaient pas en plastique. Messieurs les artistes, pitié, ne détruisez pas nos derniers asiles de vie "spirituelle" !
L'absence d'un vrai "message", d'un vrai contenu
Mais, pour une part, les artistes numériques ne peuvent s'en prendre qu'à eux-:mêmes. Ils ont vite fait de croire qu'un bel algorithme, une srie de splines ou de fractales, ou quelques jolis "filtres", éventuellement sophistiqués d'ailleurs (rien que dans Photoshop, il y a dejà d'intéressantes possibilité"), suffiront à présenter
D'autant plus que, bien souvent, ils tendent à véhiculer une idéologie technophobe. Celle-ci est largement présente dans la littérature et le cinéma : du Seigneur des Anneaux à Matrix en passant par Harry Potter, la technologie est toujours du côté des méchants.
Cherchons l'erreur ....
Pierre Berger