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3D at College de France

Interview : Marie-Paule Cani

Le 3D au Collège de France

Marie-Paule Cani, sur sa page Inria.

Le 12 février, Marie-Paule Cani marquait une première pour la 3D comme discipline scientifique, en présentant la leçon inaugurale de son cours au Collège de France, dont les enregistrements audio et vidéo sont en ligne(téléchargement et streaming).

Cette leçon ouvre une série de sessions suivies d'un colloque. Voir le programme.

Le projet est clair, ambitieux et généreux  (Marie-Paule s’est d’ailleurs intéressée à la création par les enfants). Mais il pose de redoutables questions théoriques, pratiques et sociales. et Marie-Paule a bien voulu y répondre pour diccan.com.

Diccan. Le coeur de votre exposé est une citation de Rob Cook  “Make tools as transparent to the artist as special effects were made transparent to the public”. Comment l'interprétez-vous ?

M.-P.C. Il s'agit d'une phrase dite à Siggraph Asia 2008, au cours d'un exposé intitulé "Behind The Scenes at Pixar Animation Studios".

Je la traduis plutot comme "rendre les outils invisibles", en prenant le mot 'outil' dans le sens d'une part des outils logiciels traditionnels (Maya, Blender, avec leurs menus et sous-menus et boutons), et d'autre part des outils mathématiques qui les sous-tendent (splines, nurbs, surfaces implicites): on aimerait que l'utilisateur interagisse directement avec la matière (avec la forme créée), par des gestes, sans avoir à se préoccuper de sa représentation mathématique ni des degrés de liberté de cette représentation et de leurs effets.

Diccan. Un point, peut-être accessoire : vous semblez élimiter d’emblée de votre cours la photographie et la prise de vue cinématographique, pour vous limiter  à la création algorithmique. Je vous cite de mémoire : “L’informatique graphique ne fait pas d’images, elle n’a pas d’images en entrée, mais uniquement des modèles mathématiques”.  N''est-ce pas fortement restrictif ?

M.-P.C. Je n'ai pas dit "L’informatique graphique ne fait pas d’images" (ce qui serait totalement faux), mais que, contrairement au traitement d'images, à l'imagerie médicale, et à la vision par ordinateur, nous prenons en entrée des modèles virtuels 3D et nous produisons une image (de synthèse) en sortie.

J'ai dit aussi que, pour accélérer la création numérique, il y a deux moyens majeurs d'automatisation : la reconstruction d'objets réels à partir d'images (ou de scanner), et la génération procédurale ...  mais que je n'allais pas parler de ces deux voies, le centre de mon exposé étant: lorsqu'un humain imagine une (nouvelle) forme 3D dans sa tête, une forme en mouvement, ou même un monde virtuel complet, quel moyen a-t-il de l'exprimer, de le raffiner, et finalement de le communiquer via une création 3D ?

Diccan. Un important volet des développements que vous décrivez consiste à donner des “connaissances” à l’outil. C’est à dire à lui donner de l’épaisseur. Et, me semble-t-il,  très largement à masquer la masse de ces connaissances pour ne pas encombrer l’utilisateur.  Donc à le rendre de moins en moins en moins transparent, ou avec une transparence à géométrie variable, à une transparence complexe, si je puis dire.

M.-P.C. Tout dépend du sens que l'on donne au mot 'outil'. Ici, dans mon exposé, je n'ai pas parlé d'outil mais plutôt "des connaissances dans les modèles" (et j'aurais pu ajouter dans les algorithmes... de déformation, etc).

Ces connaissances doivent être en partie masquées, selon le niveau d'expertise : on aimerait des modèles plastiques, qui s'adaptent à l' utilisateur. Pour qu'un débutant se lance il faut lui permettre de s'abstraire de la complexité des détails.

Diccan. Si l’outil a beaucoup de connaissances, devient compétent, intègre non seulement des générateurs en tous genres, des modèles de formes, de mouvements,   et aussi des règles esthétiques, ne viendra-t-il pas un moment où l'on n’aura plus besoin de l’artiste, sinon le créateur du programme.

M.-P.C. J'espère que ce ne sera jamais le cas ! Certains font de la recherche qui pourrait viser à terme à remplacer les artistes par une machine, mais je n'en vois pas l'intérêt : pour moi, la création artistique est un plaisir presque physique pour celui qui crée, doublé d'un moyen d'expression... je pense qu'on n'aura jamais le même plaisir à voir une machine créér même si on a écrit le programme.

Le but de mes recherches est assez différent. Je parle de programmes qui permettent aux humains de s'exprimer. Il ne s'agit pas de leur prendre le crayon des mains et de créer à leur place, mais de leur permettre d'avoir très vite une image de ce qu'ils ont en tête par leur capacité à respecter les contraintes (par exemple les surfaces développables) ou à générer des détails similaires (par exemple en dupliquant automatiquement les sous-branches et les feuilles d'un arbre). Dans la méthode que j'ai montrée pour un arbre, le programme complète la création de l'utilisateur à partir de lois statistques et biologiques, mais l'utilisateur peut venir à tout moment corriger et redessiner les angles de branchement, ou même chaque branche en 3D. C'est seulement un moyen de lui donner rapidement une vue d'ensemble, qu'il pourra ensuite corriger.

Diccan. Vous semblez regretter qu'il faille quatre années de formation pour devenir capable d’utiliser les grands outils de création 3D. Remettez-vous en cause ces formations, et le professionalisme qu'elles confèrent?

M.-P.C. Les écoles d'infographie françaises dispensent une excellente formation. Mais, si des logiciels comme Maya étaient plus faciles d'accès, les étudiants passeraient encore plus de temps à apprendre le coeur de leur métier, la création graphique 2D et 3D de formes et de mouvements, le design des matériaux, des éclairages, le scénario, le montage, etc (dans le désordre), plutôt qu'à maîtriser des outils qui sont de toutes manières appelés à évoluer.

Diccan. Cependant, si n’importe quel amateur, enfant ou retraité peut commencer à faire du 3D de qualité, c’est encore tout un pan d’emploi qui disparaît ?

M.-P.C. Le besoin en graphique 3D va se décupler ou plus dans les prochaines années. Avec les développements récents de la recherche, les professionnels et le grand public vont petit à petit disposer d'outils leur permettant d'ébaucher directement ce qu'ils ont en tête (de même que tout le monde peut tenter de faire un croquis avec un papier et un crayon sans avoir à appeler un dessinateur professionnel).

Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus besoin d'artistes, mais leur rôle sera différent : faire du beau en terme de formes et de mouvements (soit directement, soit éventuellement à partir d'ébauches faites par d'autres). Au sein d'une production complexe, j'espère que les artistes pourront se concentrer sur les tâches vraiment créatives, car les outils pourront les décharger des détails répétitifs (j'évoquais la fourrure de King Kong) comme des contraintes difficiles à respecter à la main. Grâce à ce temps gagné, on pourra peut-être générer des mondes virtuels aussi complets et complexes que le permettent la puissance de calcul et la place mémoire, sans que la création ne forme un goulot d' étranglement.

Pour l'amateur qui fait du 3D, je vous invite à regarder à titre d'exemple le site de la startup Skimlab et de leur logiciel Jweel. Ici, amateurs et artistes se retrouvent pour créer; les artistes peuvent mettre leurs modèles à disposition des autres (moyennant finance) pour qu'ils soient ré-utilisés tels quels ou modifiés (c'est à dire personnalisés) par des amateurs qui ne seraient sans doute pas capables de créer directement d'aussi jolies choses. Ne serait-ce pas l'exemple d'une saine collaboration ?

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PS. Merci au Paris-ACM-Siggraph, et notamment à Pierre Hénon et Yves de Ponsay, qui nous ont aidés à approfondir le sujet.

 

PAS

Paris ACM Siggraph, the French chapter of ACM Siggraph, worldwide non-profit organization of computer graphics.

 

 

 

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