Surproduction qualitative et quantitative
Note d'ambiance. 11/3/2012
Une récente note de notre blog sur les caméras HDR et les appareils Lytro nous a valu une stimulante réflexion de Pierre Hénon : "On peut d'ailleurs remarquer que ce travail est époustouflant sur le plan scientifique, mais se demander s'il est bien utile sur le plan artistique, alors que tous les chefs op ont hurlé à l'apparition des premières caméras numériques dotées de petits capteurs leur donnant une profondeur de champ presque infinie, et ne jurent que par celles qui leur redonnent du flou... ".
Cette question n'est qu'un moment particulier d'un mouvement actuel rapide : les machines perçoivent de mieux en mieux que nous. Et comme elles sont nombreuses, elles perçoivent aussi beaucoup plus... et produisent aussi beaucoup plus. Quelques exemples :
- en matière vidéosurveillance : "Trop de caméras, pas assez d'yeux" titrent deux grandes pages signées M.Ju dans Le Monde du 10 mars 2012,
- en matière artistique, les réflexions de Jean-Pierre Balpe et des participants au projet Capture ; elles pourraietn se généraliser à l'ensemble des arts génératifs ; un logiciel comme Roxame, à lui seul, un seul exemplaire et sur un ordianteur des plus courants, peut produire en une nuit des dizaines d'oeuvres complexes et relativement plaisantes.
Cette surproduction des automates est d'autant plus sensible qu'elle peut être diffusée instantanément sur la totalité de la planète et stockée indéfiniment sur les disques durs des particuliers et a fortiori des institutions à caractère conservatoire comme l'Ina en France.
On peut en rapprocher une surproduction par les êtres humains eux-mêmes, comme le commente notamment Menger (d'un point de vue sociologique) ou
Robertson (du point de vue "marché de l'art").
- l'érosion de l'audience des télévisions alors que le nombre des chaînes (même gratuites) offre une très large palette d'émissions qui ne sont pas toute inintéressantes
- au Siggraph, l'impression d'abord enthousiasmante, puis asez frustrante, que le visiteur ne peut profiter qu'une d'une petite partie de l'offre de présentations, ateliers, expositions et projections de films
- impression analogue dans les grands festivals de cinéma d'animation comme Annecy,
- aux séances de projection du CAF (Computer Animation Festival) par le Pari ACM Siggraph, impression d'une accumulation, pourtant sélective déjà, de court-métrages ou extraits où il est bien difficile d'apprécier le meilleur.
A cet excès de l'offre sur la demande répondent différentes stratégies, différents dispositifs :
- le découragement ou le suivi sans réflexion des pentes les plus faciles (addiction à certains thèmes, grérarisation autour des émissions de masse)
- l'ascèse personnelle, par la limitation des heures de petit écran, le refuge dans des univers semi-déserts où l'on s'interdit d'avoir une connexion (à la limite, une forme d'érémitisme ou de monachisme)
- le recours méthodique à des conseils et à des revues critiques (dont Télérama est actuellement l'exemple le plus convaincant, mais il ne traite pas de tous les genres artistiques)
- l'emploi de filtres automatisés ; c'est la grande force de Google : le classement (ranking) ne se fait pour l'instant que pour les textes.
Mais les machines ne sont pas seulement des concurrentes pour la production d'images. Elles en deviennent ausi de grandes consommatrices, en principe à notre service : informations sur la météo, la charge des itinéraires routiers, mais aussi action à proprement parler (ouverture ou fermeture d'un péage, délivrance ou non de billets de banque dans un distributeur), voire sanctions judiciaires (radars routiers, où le principe du jugement par un autre être humain est sauvegardé par la signature d'un gendarme de grade adéquat) et, à la limite "traitement" militaire (drones de combat).
Nous approchons du moment où les humains seront minoritaires tant dans la production que dans la consommation des images et des informations en général;