Electronic Theater, Siggraph Asia 2011, Hong Kong
Nous tentons ici, pour la première fois, la gageure d'une analyse critique des films sélectionnés par une instance de haut niveau comme le Siggraph, en l'occurrence, le Siggraph Asia 2011 qui s'est tenu en décembre dernier à Hong-Kong. La projection était organisée à Paris le 19 avril 2012, dans la grande salle de projection de la Scam. Le mot d'accueil fut prononcé par Stéphane Trois-Carrés, vice-président de la commission numérique de la Scam.
Arrivant à la séance après des études et des entretiens avec des artistes algoristes comme Antoine Schmitt, Hugo Verlinde ou François Zajéga, le choc est brutal. De l'austérité abstraite et minimaliste, y compris dans les rythmes plus zen que disco, on tombe dans la frénésie des couleurs, des mouvements dans des espaces 3D explorés par des "caméras" hypermobiles. Seule la musique est relativement sage, mais c'est sans doute qu'ici comme dans tout l'univers plastique numérique (et dans le cinéma en général, d'ailleurs), elle ne joue que les seconds rôles.
On se dit que les ascètes du formalisme n'ont vraiment plus grand chose à faire dans un monde d'images où ils se battent seuls et à mains nues, gagnant souvent leur vie par d'autre moyens, contre les armées des majors du cinéma et des jeux. Et l'on s'abandonne au plaisir gourmand de pixels endiablés.
Vers le milieu de la séance, comme à s'installer un vague malaise. Le monde est-il si noir, si violent ? L'avenir est-il aussi atroce, et nos adolescents ont-ils tort de se laisser si souvent tenter par la suicide ? A quoi bon s'épuiser dans des "prépas" stressantes ou des filière de rattrappage sans espoir d'échapper à la précarité ? A vrai dire, un minimum de prospective montre que l'univers des années à venir ne ressemblera nullement à ceux que nous proposent la "fantasy" qui a remplacé la science fiction sérieuse (hard SF, voir Wikipedia.). Certes, entre crises économiques, risques écologiques, dérives fondamentalistes et ambitions asiatiques illimitées, les années à venir ne vont pas être faciles. Mais pas du tout de la façon que l'on nous décrit ici, avec ces fantasmagories romantiques ou symbolistes qui évoqueraient plutôt les dessins de Victor Hugo et plus encore les
Les jeunes sont nourris des mythologies technophobes du Seigneur des Anneaux, de la Guerre des Etoiles ou de Harry Potter. Nos jeunes cinéastes suivent le mouvement. La vraie avant-garde, aujourd'hui, ne serait-elle pas de lancer envers et contre tout des hymnes à l'optimisme malgré tout ?
Il est vrai, nous ont faire remarqué certaines spectatrices de cette soirée, que la sélection exprime une sensibilité essentiellement masculine, privilégiant et de loin la guerre sur l'amour. Oh sixties, comme vous êtes loin, avec votre slogan "Make love, not war" ! Parmi les 34 auteurs cités par le programme remis aux participants, 7 seulement sont des femmes. Dommage. Là où elles sont en position de s'exprimer (ici Zing et Inception, voir plus bas), elles apportent indiscutablement une autre sensibilité. Pourquoi cette domination masculine, et a-t-elle des chances d'aller à terme vers la parité ? Nous l'avions un peu espéré au Siggraph 2008. La situation n'a guère progressé depuis. Notons tout de même que la soirée a été conclue par Cécile Welker, secrétaire du chapitre parisien de l'ACM Siggraph. De même, à la réunion des chapitres européens de l'ACM il y a quelques mois, les dirigeants du plus haut niveau qui avaient fait le voyage de Paris à cette occasion ont laissé tirer les conclusions par la jeune présidente du chapître de Manchester.
Nous serions tentés de conclure de manière pessimiste : les technologies continuent de progresser à une allure exponentielle, d'ailleurs imposée par l'exponentielle de croissance (2% par an) qui reste un dogme pour que les économies assurent un taux d'emploi convenable. Pendant ce temps, les humains ne progressent plus. "L'intelligence humaine est en panne" titre Science de vie d'avril 2012. Et elle incapable d'imaginer un monde futur où les hommes seraient meilleurs. Faudra-t-il que les robots viennent à notre secours, comme l'adorable couple Wally-Eva de Disney ?
En tous cas, on ne peut pas compter sur les arts numériques actuels. Ni l'ascèse des algoristes, ni l'exubérance technique du cinéma d'animation ne se préoccupent de construire, ni même d'imaginer, un monde où il ferait bon vivre dans les décennies à venir.
Pierre Berger
Impressions sur quelques uns des films projetés (sur 19 films du programme complet)
Notons que, comme les années précédentes, les sélections des festivals Siggraph Asia ne laissent pas plus apparaître un style ou une thématique spécialisment "asiatique" que les Siggraphs américains. A y regarder de plus près, l'Asi est ici presque totalement absente. Il y a deux références indirectes à la Chine : la mise en dynamique de son logo CCTV par la société française Troublemakers (avec cependant une référence à l'Allemagne), et la présence d'un chinois dans l'équipe de Sup'Infocom Arles qui a réalisé Hezarfen.
On ne saurait, je pense, accuser le jury de partialité anti-asiatique. L'Asie, alors, ne serait-elle pas en mesure, dans ce domaine des films d'animation, de se mesurer aux équipes occidentales? Les principaux pays actifs en matière de cinéma sont :
- l'Inde ; pour l'instant, "Bollywood" est nettement centrée sur le cinéma traditionnel. Il n'est pas interdit d'espérer que le cinéma pourra un jour bénéficier de la forte tradition de "physical computing" qui anime.. Bombay
- Singapour fait de gros efforts pour se placer sur ce terrain. En 2008, la ville a accueilli le premier Siggraph Asia, et le recevra à nouveau cette année
- la Chine continentale fait elle-aussi des investissements considérables, et commence à jouer dans la cour des grands sur le marché de l'art traditionnel.
- le Japon est en ce moment traumatisé par Fukushima ; il est cependant revenu en force cette année à Laval Virtual, où plusieurs équipes d'étudiants japonais viennent chaque année proposer des idées quelquefois loufoques, mais toujours signficatives d'une recherche persévérante de l'humain à travers de nouveaux types d'interfaces. Et c'est une équipe japonaise qui a obtenu l'invitation annuelle à présenter ses travaux au Siggrarph (cette année à Los Angeles).
Corée selon wikipedia, année de transition
Flamingo Pride. par Tomer Eshed et Dennis Rettkowski, Talking Animals. Allemagne
Le film combine une grande précision dans le rendu, réaliste mais pas "photographique", et un humour assez complexe sur les relations entre différentes espèces (et donc entre humains, bien entendu). C'est le deuxième film de Tomer Eshed, après "Our Wonderful Nature". Flamingo Pride fait en ce moment "le tour des festivals". Dennis Retkowsky est plus un technicien.
Vie d'enfer. par Annabel Sebag, Premium Films distribution. France.
L'auteur réécrit la création, presque à la manière du Paradis Perdu de Milton. Dieu est une sorte de grand enfant, qui fabrque des anges comme des origami, par exemple. Mais le vilain démon me ses projets à mal. Cette oeuvre semble la première signée par cet auteur.
World of Warcraft. Cataclysm. Intro. Marc Messenger, Director et Phillip Hillenbrand, Jr., Producer, Blizzard Entertainment, Inc., Cinematics. Etats-Unis
On est ici typiquement dans l'esthétique des jeux à puissant environnement graphique. Avec des rhétoriques du genre " Vous avez vaincu les armées de morts-vivants du roi-liche et fait mordre la poussière à Arthas. Aujourd’hui, c’est Aile de mort le Destructeur qui déchaîne sa colère. Azeroth a été défigurée à tout jamais et vous devez pénétrer dans les plans élémentaires afin d’empêcher le Destructeur de réduire le monde à néant"...
Certaines phases du développement graphique, cependant, font preuve d'une certaine légèreté, pour ne pas dire d'humour.
- On aura une idée du style avec un extrait vidéo proposé sur le site de l'entreprise. Beaucoup de mouvement, de couleur. Indéfniment.
Captain America: The First Avenger. Joe Johnson. Kevin Feige Wikipedia. Royaune Uni.
Wikipedia consacre une page à ce film et conclut : "Captain America: The First Avenger est pour la première fois diffusé à Hollywood le 19 juillet 2011, et est diffusé le 22 juillet 2011. Le film est un véritable succès et emporte 368,4 millions de dollars en date de novembre 2011. Le film est diffusé le 17 août 2011 au cinéma en France."
Mr. Choco in Love Petr Marek (Cinedoc). République Tchèque.
L'auteur s'est fait connaître en 1996-1997 et s'est fait connaître pour ses pratiques expérimentales.
Take Your Medicine. Nader Husseini, Amy Grieshaber et Laura Bussinger, Radium/Reel FX Creative Studios . Etats-Unis
L'histoire est très noire et vise l'abus des médicaments, encouragé puis forcé par une horrible araignée.
- Nader Husseini est le principal auteur.
L'intérêt artistique réside les consructions graphiques et les traitements non photo-réalistes : contours, textures, incrustations de visages filmés dans l'animation. On peut le visionner sur Vimeo. Ce site propose aussi d'aures films de Nader Husseini, graphiquement élaborés et porteurs de messages éthiques ; il liste aussi les nombreux prix reçus par ce cinéaste.
- Amy Grieshaber est "editor" et productrice.
- Laura Bussinger est actrice et intéressée par les effets spéciaux.
Paths of Hate. Damian Nenow (auteur) , Marcin Kobylecki (producteur) et Agnieszka Piechnik, Platige Image . Pologne.
Une partie en vidéo sur Vimeo.
Le scénario et le type d'images (combat à mort entre deux aviateurs) sont un peu ressassé, et l'ensemble est trop long. Mais la qualité des rendus et la riche dynamique des jeux dans l'espace, propres à ce type de combat d'ailleurs, font plaisir au moins pendant les premières minutes.
Harry Potter and the Deathly Hallows: Part II. David Yates David Heyman (Wikipedia)/ David Barron (Wikipedia). Royaume Uni
Un passage du film. Grandiose, un peu trop connu des amateurs du petit magicien anglais. Le film lui-meme d'ailleurs, accumulait les longueurs et les lourdes insistances sur certains aspects "gore" qui, nous a-t-on dit, ne sont pas dans le texte écrit original.
Zing. Vera Angstenberger, Filmakademie Baden-Wuerttemberg . Allemagne
- L'image fournie ici ne donne qu'une idée très partielle de cette oeuvre aux graphismes aussi fins que riches et à l'humour mi-rose mi-noir qui anime le tout. Le scénario est classique : le jeune héros (une héroïne ?) vient perturber l'univers quasi-démoniaque d'un vieux fou et de ses machines, notamment une sorte de main squelettico-robotique qui frappe sur un clavier pour générer des images. Une population de longues cordes évolue souplement, dans une chorégraphie féminine; chacune porte une image, et le vieux fou, comme les Parques dans la mythologie grecque, coupe à la fois leur fil et leur vie.
Abiogenesis. Richard Mans, Fuzzy Realms Ltd . Nouvelle Zélande
Jeu robotique complexe. Dans l'espace, des robots vont chercher une ressource rare.
The Backwater Gospel. David Crisp, Festival Distribution Secretary (Lindekin). Danemark
Dans un far-west américan peint au noir, un vieux guitariste vient perturber la vie d'un village. Le démoniaque pasteur fait condamner l'intrus à mort. L'intéressant ici est la créativité graphique de l'auteur, très "non photo réaliste", avec des personnages reconstitués avec des bouts de vielles planches un peu comme Arcimboldo avec des légumes.
CCTV - Ink. James Hagger, Troublemakers.tv . Allemagne
CCTV est l'acronyme de Central China Television Agency.
Troublemakers est une société parisienne. James Hagger est un de ses metteurs en scène. Pourquoi présenterce film au nom de l'Allemagne?
Le film, presque en noir et blanc, avec un peu de brun, est un hymne graphique à l'évolution, à partir de gouttes d'encre qui se diluent dans l'eau, puis se développent en formes vivantes puis en machines du monde moderne, pour se condenser finalemnet sur le sigle. Vers la fin, les transitions vers les objets modernes (avion, par exemple) sont un peu brutales et "gratuites", alors que les premières apparitions de formes naturelles semblent presque ... naturelles
A voir sur Viméo ou sur Youtube.
La Détente. Bertrand Bey et Pierre Ducos, Site de La Détente. Pierre+Bertrand . France
Un étrange décalage entre la "grande guerre" évoquée par des photographies (d'archives ?) et des séquences d'animation volontairement roses et enfantines. Avec un atroce jeu de mots sur "détente": le grand espoir de paix des gentils français enfantins est réduit à néant par la méchanceté prussienne, et le film s'achève par une pression sur la gâchette (détente, en termes militaires techniques) d'un fusil.
Dans une tranchée française lors de la Première Guerre Mondiale, un soldat paralysé par la peur déconnecte de la réalité. Son esprit s’évade alors pour une guerre allégorique dans un monde fait de jouet et de cotillons.
The Saga of Biörn. David Crisp,(Lindekin) Festival Distribution Secretary . Denmark
Joli dessin animé plutôt classique. Des extraits un peu sur tous les sites (YouTube, Koreuex, Fubiz, Vimeo).
The Saga of Biôrn Biôrn, an old Viking, is determined to reach Valhalla, the warrior’s afterlife full of excessive drinking and debauchery. To gain entry he has to die honorably in battle, but he discovers that the right death isn’t so easy. A fantastic short film with top-notch art direction, animation and sound design. The ending is great, too. We have Benjamin J. Kousholt, Daniel D. Christensen, Mads Lundgaard Christensen, Jesper A. Jensen, Jonas K. Doctor, Steffen Lyhne, Pernille Ørum-Nielsen, Frederik Bjerre-Poulsen and Jonas Georgakakis to thank for putting this together.
Sorti au début de 2011.
Assassin's Creed: Revelations. Alex S. Rabb et Eszter Bohus, Digic Pictures . Hongrie
Un passage du film, très typique de cet univers sombre et graphiquement sophistiqué. Séquence sur Youtube.
Last Fall. David Crisp, (Lindekin) Festival Distribution Secretary . Denmark
Jeu sur les différents sens possibles de "Last Fall" : dernière chute, dernier automne.
Hezarfen. Chung-Yu Huang, Institute of Shih Chien University, Tolga Ari, Double Negative, Romain Blanchet (Blog) et Remy Hurlin. France.
Il s'agit d'un film de Supinfocom Arles. Chung-Yu Huan, seul artiste asiatique dans cette sélection, y est le spécialiste des spéciaux (FX Lead). Le style est assez typique du style français, et notablement inspiré, dans sa dynamique, par Octopodi, d'Eric Viewer.
Inception. Christopher Nolan (Wikipedia) . et Emma Thomas (Wikipedia). Etats-Unis
Dragon Age 2. Alex S. Rabb et Eszter Bohus, Digic Pictures . Hongrie
La bande annonce.