2062 à la Gaîté lyrique : tous aveugles.
On peut avoir deux certitudes sur les décennies qui viennent :
- un déferlement toujours croissante d'innovations, puisque les grandes nations ont pour objectif premier une compétitivité basée sur la recherche, fondamentale ou appliquée, au service d'un croissance économique exponentielle (un minimum de 2% par an),
- différences menaces de crises qui ne feront que se renforcer les unes les autres : énergie, pollution, démographie, finances, inégalités, montée en force d'idéologies et de formes religieuses qui remontent au moyen-âge le plus ancien sinon avant l'ère chrétienne, sans parler de la probabilité non nulle, à cette échelle de temps, de grands séismes voire de menaces extra-terrestres : astéroïdes et comètes ; vient encore s'y ajouter, et là le numérique est en première ligne des promesses mais aussi des menaces, une telle montée des intelligences artificielles (voir ci-dessous, la machine Watson d'IBM, par exemple) qu'elle laisse prévoir une "Humanité 2.0." pour un Kurzweil (industriel américain), ou une guerre absolue entre partisans et adversaires des "robots" pour un De Garis (phyicien travaillant depuis plusieurs années en Chine).
2062, terme choisi par la Gaîté lyrique pour sa grande exposition "Aller-retour vers le futur", n'est pas si loin de nous. Il y a peu de chances que je vive encore, en revanche, mes petits enfants y seront dans la force de l'âge. Et j'aimerais bien qu'ils y aient encore et une belle vie et un avenir intéressant.
On pourrait espérer que les artistes, comme autrefois les futuristes italiens, le Bauhaus à sa manière, un Dufy ou un Fernand Léger, apportent leurs lumières aux projections un peu froides des statisticiens ou aux apocalypses promises des écologistes. C'est tout le contraire, hélas. L'exposition de la Gaïté lyrique n'en est qu'un exemple parmi d'autres, mais un exemple saisissant vu l'ambition du titre. Typique, ce petit automate en Meccano (une invention qui remonte à 1901), faisant semblant d'aller arroser périodiquement une plante. Une seule oeuvre nous a parue artistiquement intéressante, c'est la vidéo en boucle projeté dans la grande pièce à mezzanine, où deux plages se font face à face, mais que personne ne parvient jamais à traverser. Original et fort. Mais sans rapport avec le thème.
N'en voulons pas trop aux organisateurs. Nous n'avons plus les Robida ni les Verne (ni les Danrit, les Legendre et quelques autres) qui, soi-disant pour amuser les enfants, ont si bien vu, à la fin du XIXe siècle, les grandes inventions du XXe, en particulier en matière de médias. Les grandes visions d'un Neil Stephenson ou d'un William Gibson datent de vingt ans. Et les grandes mythologies (Starwars, le Seigneur des anneaux, Harry Potter) nous endorment avec des contes de fées technophobes.
Un autre exemple de cette myopie: parmi la remarquable collection d'ouvrages que le Centre de Ressources e la Gaîté met à la disposition de son public, nous trouvons Reinventing the automobile. Personal Urban Mobility for the 21th Century, par William J. Mitchell, Christopher E. Borroni-Bird and Lawrence D. Burns (MIT Press 2010). Les auteurs ne semblent pas prendre en compte ce que nombre de chercheurs annoncent depuis dix ans (par exemple, en France, Michel Parent, de l'Inria, interviewé par Asti-Hebdo en 2003 : les voitures de l'avenir se conduiront toutes seules. Et les Google Cars sont en train de le démontrer sur le terrain. En décembre dernier, selon PC Impact elles avaient déjà parcouru 200 000 km sur les routes (ordinaires) du Nevada. Leur structure e leur mode d'emploi seront donc fort différents de celles des automobiles d'aujourd'hui. Mais, comme à l'apparition de l'automobile il y a cent ans, nous pensons les machines de demain comme des "diligences sans chevaux";
Quelques écologistes, quelques groupes actifs comme Pièces et Main d'Oeuvre travaillent et alertent. Sans pour autant proposer des solutions, ou au moins des pistes pour un aménagement raisonnable. De toutes façons, qui les entend ? Le thème a disparu des radars de la campagne en cours. Et apparemment, on ne peut même plus compter sur les artistes, qu'ils soient traditionnels, numériques et même génératifs.
Espérons quand même que les conférences organisées par Rémi Sussan et la session de réflexion collective "sous-marins" projetteront quelques lumières sur ces lointains et proches à la fois. Voir Le programme.
Pierre Berger. 10 février 2012